Ce que vous ne saviez pas sur Kadiata Malick Diallo…



Mauritanies1 - Vous connaissez Kadiata Malick Diallo, comme une voix de l’opposition qui s’est toujours élevée pour les causes qui lui tenaient à cœur. Malgré le contexte difficile où se trouve son parti, l’UFP, depuis le boycott des élections, le combat ne faiblit pas.

KMD, ex-Députée à l’Assemblée Nationale, reste une personnalité qui marque la vie politique mauritanienne. A travers un entretien qu’elle a accordé à Mauritanies1, elle nous raconte son enfance, son parcours, son engagement, qui, reconnait-elle l’a “réellement libérée” en lui permettant de “servir la Mauritanie”…

Une enfance rurale

Kadiata Malick n’est pas tout à fait native de Mbout mais plutôt de la circonscription “je suis née dans la brousse pratiquement, au sein d’un campement qui doit se situer à 60km de Mbout”. Elle aura donc vu le jour dans le village Maure de Bedelhamar dans la commune actuelle de Laouissi qui se situe dans le département du Barkéol “je suis née à la fin de l’hivernage et j’ai tout d’abord fait l’école coranique avant d’aller au primaire à Mbout lorsque j’ai eu comme on le disait à l’époque 7 hivernages.”

A l’époque, son oncle qui vivait à Mbout a accueilli la plus part de ces nièces et neveux afin qu’ils puissent être scolarisés. “Mon père a été très réceptif par rapport à l’école et il a envoyé pratiquement tous ses enfants chez mon oncle pour étudier, je passais l’année scolaire à Mbout et les vacances en Brousse.”

Elle a partagé avec nous cette anecdote qui explique comment son père a échappé à l’enrôlement alors qu’il était déjà sur la liste: “ils ont eu l’idée d’envoyer son grand frère à sa place qui était édenté et ils pensaient qu’il serait dispensé lors de la visite médicale mais il a été déclaré apte, donc on s’est retrouvé avec deux Malick Samba dans la famille”. C’est comme ça que son père est resté éleveur et son oncle est devenu garde.

Le trajet était très long jusqu’à Mbout. Cela représentait “une journée et demi de trajet sur zébu ou dromadaire” avec également la traversée du marigot dans le Gorgol (aujourd’hui un barrage) à la nage agrippée à une corde.

La vie rurale a été pour KMD de vrais moments de bonheur “la campagne est un monde différent; c’est le monde des animaux, des champs, c’est la liberté, il n’y avait aucune contrainte! Je me souviens qu’on pouvait rester toute une année sans voir un véhicule passer, c’est un monde où on était en rapport directe avec la nature”.

L’organisation de la société à l’époque était aussi assez différente. “On habitait par petit “village”, c’étaient généralement des frères, des cousins qui constituaient un village”. Elle se souvient également de la cohabitation avec les Harratines qui étaient directement qualifiés d’esclaves “nous avons cohabité avec eux et à l’époque on les appelait “Aabide”, et c’était banal”

Les sites nomades étaient organisés ainsi : “Rumaanou”, c’est là où on passe l’hivernage et qu’on construit des huttes plus ou moins solides, ensuite un autre campement prenait le relais “Dabbaano” afin de surveiller les champs, après la récolte lorsqu’il y a encore assez de pâturages. Ensuite, à la période sèche, comme les pâturages étaient plus lointains il y avait ce 3ème campement “Cèè∂aano”. A l’époque note-elle, les pluies étaient abondantes donc trois campements étaient largement suffisants.

L’agriculture comportait quelques contraintes; par exemple, lorsque les chefs féodaux maures contrôlaient des oueds, ils considéraient que les terres leurs appartenaient même s’ils avaient été défrichés par d’autres.

Ces derniers versaient chaque année une taxe pour avoir le droit de cultiver ces terres là, les Harratines venaient récupérer la taxe pour leurs maîtres “je me rappelle d’ailleurs que le principal chef venait de très loin de Guerrou; il disait que c’était leur propriété.

Mes parents m’ont dit que lorsqu’ils sont arrivés, le paysage était réellement une forêt et qu’il y avait même des fauves, ils ont défriché la terre pour la rendre cultivable et malgré cela il fallait verser une redevance à chaque récolte”. Paradoxalement ses parents avaient eux-mêmes des terres au bord du fleuve qui étaient cultivées par d’autres qui leur versaient également une partie de la récolte.

“Les maures étaient rares de notre coté, c’étaient les esclaves qui représentaient ces maures.” D’ailleurs elle se souvient très bien que lorsqu’un de ces harratines décédait, juste après l’enterrement, le maître venait et demandait à ce que l’on réunisse les biens du défunt qui devenaient aussitôt les biens du maître.

Premiers pas en ville

Après avoir fait l’entrée en 6ème, en route pour le collège, ce fut Le Collège des Jeunes Filles comme elle avait des correspondants à Nouakchott. C’était sa première fois dans cette ville.

Les infrastructures étaient de véritables nouveautés : “les bâtiments, l’électricité, l’eau de robinet , tout était nouveau! A Mbout, il fallait puiser l’eau dans des bassines et les porter sur la tête. Lorsque j’ai fait ma première année mes amies étaient encore à Mbout car j’avais un an d’avance.

Curieusement, lorsque je suis rentrée en vacances, j’avais gagné en taille, et tout le monde se demandait : “Pourquoi a-t-elle grandi si vite?” Une de mes amies qui était une grande farceuse répondait “Vous devez comprendre, elle est restée une année sans porter de bassine sur sa tête ça lui a permis de pousser!!””

Cela a coïncidé avec la période où les élèves contestaient beaucoup le système de Moctar Ould Dadda “je n’étais pas très engagée mais à l’écoute, car j’étais très portée vers les études avec une passion pour les sciences et les mathématiques, mais les idées développées par les élèves engagés ne me laissaient pas indifférente“.

Il lui arrivait aussi de suivre la grève lorsqu’il y avait des mouvements, sans pour autant être leader, mais c’était déjà les prémices d’un engagement qui se dessinait lentement mais surement…

Naissance d’une vocation

Pour KMD l’engagement est réellement venu vers les deux dernières années de lycée qui correspondaient avec le “Mouvement de Renaissance des Langues Nationales”. C’est à ce moment qu’elle a commencé à saisir l’importance des langues nationales et la nécessité de les développer pour une Mauritanie plus unie.

“Mon premier engagement a été culturelle, j’ai d’abord été alphabétisée en Pulaar et ensuite, j’ai passé un concours pour à mon tour enseigner cette langue” et cela pendant son année de Baccalauréat. A l’époque la Circulaire 02* qui prônait l’arabisation a été perçue comme une menace et causé beaucoup de revendications.

Elle regrette le caractère ethnique que ces affrontements ont très vite pris. Cela en soit était un indice du malaise qui existait en Mauritanie et qui était perçue déjà fortement dans la jeunesse. C’est pour cela que progressivement des courants politiques clandestins se sont développés au sein des associations qui à l’origine étaient culturelles.

Deux tendances politiques se dégageaient : ceux qui se battaient pour ce qu’ils appelaient “la cause des noirs” et ceux qui défendaient le “une vision multi ethnique”. KMD, fidèle à ses valeurs a démontré plus d’affinités pour cette dernière. C’est ainsi qu’elle a rejoint, au sein de la section culturelle, le Mouvement National Démocratique qui alors en était à ses débuts.

Ayant eu son Bac Scientifique en poche avec les honneurs, KMD rêvait de faire des études de médecine. Malheureusement, n’ayant personne qui pouvait soutenir son dossier, elle ne put obtenir une bourse. Le second choix, non des moindres, a donc été l’ENS où elle poursuivit des études brillantes afin de devenir Professeur de Sciences.

“Je ne regrette pas ce choix car mon engagement a donné de nouvelles perspectives à ma vie, j’ai trouvé en cela, un réel moyen de défendre une cause qui me tenait à coeur.”

La Femme engagée

Kadiata Malick Diallo poursuivant sa carrière académique, continue son engagement au sein du MND “Je ne suis pas passée des sciences à la politique mais j’ai mené ces deux voies en parallèle” précise-t-elle. Son combat prend d’ailleurs une grande place dans sa vie car elle sentait le devoir de travailler pour la révolution en Mauritanie.

La lutte pour les langues nationales était en vérité une lutte politique car déterminante pour la fondation de la Mauritanie et la direction que ce pays devra prendre. Inspirés par le Mouvement pour la Renaissance du Pulaar, les autres communautés ont d’ailleurs suivi dans cette lutte.

Il y avait des courants contradictoires qui rentraient en frictions car d’une part il y avait ceux qui croyaient profondément au développement de la Mauritanie grâce aux langues nationales et d’autre part ceux qui voulaient imposer l’arabe comme langue nationale faisant fis des autres communautés.

A cela s’ajoutaient également ceux qui pensaient que le développement ne pouvait se faire sans le français. Dans ces tumultes houleux, les associations culturelles devenaient de plus en plus actives. Beaucoup d’étudiants faisaient parti du MMD et KMD contribuait à les sensibiliser sur l’importance de la langue maternelle à travers des cours d’alphabétisation, des conférences, faire connaitre la culture Peul.

Cette période vit aussi la naissance d’une émission radio en Pulaar qui bénéficiait d’une grande écoute et qui a contribué à l’implémentation de l’association partout en Mauritanie mais aussi du journal mensuel Fooyre bamtaare (crée par l’association) qui continue jusqu’à aujourd’hui de paraitre et “qui n’a rien à envier aux media occidentaux”.

Les actions de l’association ont porté leurs fruits en touchant les cercles de décisions. Lors de la réforme de l’enseignement en 1979 les gouvernants de l’époque ont été obligés d’accepter l’intégration des langues nationales dans le système éducatif. Une expérimentation a été menée avec l’Institut des Langues Nationales et malgré son succès, la volonté politique n’a pas suivi.

Une vie équilibrée

Là où très souvent, même en occident on dit qu’on ne peut pas trouver un équilibre entre un engagement politique, une carrière réussie et une vie de famille équilibrée, KMD démontre que non seulement c’est possible mais ce sont des éléments qui sont intégrés.

En effet, elle considère qu’elle n’a jamais eu l’impression qu’elle devait jongler entre ces différentes voies. “Quand je me suis engagée, je me suis engagée à fond. Je voulais faire en sorte que les idées que je portais se réalisent. Bien sur, il fallait une vie de famille aussi, mais ce sont des éléments que j’ai intégrés.

J’avais un conjoint qui partageait mes idées, et, je bénéficiais de l’aide de mes cousines et nièces qui étaient à ma charge. Il y avait donc du monde à la maison qui m’aidait à balancer ma vie professionnelle, mon engagement politique et ma vie de famille”.

La crainte principale de son entourage était le risque que représentait la politique :”j’ai eu des blocages mais cela ne m’a pas empêché d’avoir une belle carrière”.

En tant que Professeur de Sciences il lui tenait à cœur d’être assidue et de ne pas rater des cours à cause de la politique. Elle avait la réputation d’être un professeur exigeant avec ses élèves mais qui aimait l’enseignement “ce que j’ai le plus apprécier c’était la transmission du savoir.” dit-elle à ce sujet.

Cette position de mentor, elle l’avait aussi au sein de l’ARP, où elle a contribué à former beaucoup de ses membres, mais où elle-même a pu se former dans la politique, gagnant de plus en plus en assurance “dans un premier temps je prenais rarement la parole, et puis cela est venu progressivement”.

Pionnière des manifestations de Femmes

La prise de position de KMD pour la langue Pulaar lui avait assuré une notoriété au sein des groupes qui luttaient pour les langues nationales: “Les milieux de promotion de la langue pulaar me connaissaient parfaitement”. Pourtant, au lendemain des tragiques évènements `la fin des années 80, l’engagement de KMD a pris une autre dimension à partir d’avril 1991.

“Quand il y a eu les massacres, je faisais partie d’un groupe de femmes qui revendiquaient le droit à la justice et à la réparation”. Tout le monde avait peur de s’exprimer sur ce sujet et de se battre contre les injustices commises à l’époque “lorsque nous avons appris ce qui s’était déroulé dans les prisons alors nous avons très rapidement constitué un groupe de femmes des victimes, d’autres également se sont investis, il y avait des médecins, des avocats… mais l’action pratique de protestation dans la rue était constituée des veuves et du comité de solidarité ”.

La stratégie consistait à un sit-in devant les différents Etats Majors. C’était un mouvement pionnier de la contestation féminine qui positionnait les femmes comme une vraie force ; et cela a inspiré tous les mouvements politiques qui étaient réprimés qui, à leur tour, faisaient sortir les femmes dans la rue pour protester. Cette période a permis à KMD de se positionner comme une voix du peuple qui s’exprime contre l’injustice.

Vers l’assemblée

“Lorsqu’il y a eu la liberté de s’organiser en parti politique, cela correspondait avec la rupture entre les communautés noirs, maures mais aussi les harratines qui revendiquaient leur émancipation.

Ceux qui s’opposaient à Maouiya – y compris des maures – étaient répartis dans des courants clandestins dont le MND, El Hor entre autres : nous avons tous mis nos sensibilités politiques différentes de coté afin d’unir ces entités pour fonder l’UFD et faire le poids face à un candidat fort.

Lors des élections municipales ou législatives on portait ma candidature mais sans grande conviction, c’était une sorte d’entrainement. Le but était de “porter le discours de l’opposition” vers une tribune politique. En 2006, quand Maouiya a été renversé, le jeu était devenu plus ouvert.”

En effet, à ce moment tous les courants politiques confondus estimaient qu’il était temps que les femmes se lancent dans la bataille de manière plus franche. C’est dans ce contexte que son parti l’a portée et soutenue pour la candidature à la députation “j’ai été portée en tête de liste à Nouakchott, une circonscription importante afin d’accéder à une tribune comme le parlement.”

KMD après avoir remporté un siège de Député pour Nouakchott, se fait remarquer par ses interventions très engagées et sans langue de bois. “Cela a permis au parti d’être plus connu par l’opinion, nous avons toujours eu des difficultés de nous implanter à Nouakchott et vers la fin du mandat on était un des principaux partis de la ville.”

De personnalité au sein des cercles des victimes des exactions et des milieux de lutte pour les langues nationales, elle est devenue une voix qui touchait les mauritaniens de l’intérieur du pays et de la diaspora: “certains voyaient en moi une voix qui défendait la cause des noirs et d’autres une voix qui défendait les mauritaniens d’une manière générale; chacun avait son interprétation. Pour ma part, mon objectif a toujours été de servir la Mauritanie”.

En tant que femme KMD considère avoir eu beaucoup de chance d’avoir bénéficié de circonstances qui l’ont aidé mais ce n’est pas une raison pour ne pas lutter pour les autres femmes qui n’ont pas bénéficié de cette chance. “Les femmes ont beaucoup de handicaps, et il y a eu des avancées qui se sont faites grâce à une union des femmes au delà de leur appartenance à un parti politique, faisant front face aux cloisonnements étanches.

C’est à partir de 2005/2006 que nous avons pris le dessus sur ces cloisonnements pour revendiquer ensemble la promotion des femmes, ce qui nous a emmené au fameux quota des ’20%’ dans les élections”. Et, ce sont des actions qui continuent d’être menées à travers des groupes de plaidoyer et du mouvement de la lutte pour la promotion des femmes.

“Dans d’autres pays , les femmes ont pu transcender leurs clivages politiques pour créer des mouvement de lutte pour la cause des femmes. Nous sommes encore ici au stade embryonnaire, la volonté est là mais il y a toujours des pesanteurs politiques”.

Sur son parcours politique KMD a rencontré quelques difficultés et l’un des challenges les plus ardus jusqu’à aujourd’hui pour elle est “d’emmener les gens à agir, devenir des acteurs de ces causes plutôt que de rester spectateurs, car les gens expriment vivement leur soutien quels que soient leurs milieux”. Ce qui aura été le plus gratifiant est certainement l’écho positif qu’elle a réussi à avoir dans les cœurs des mauritaniens. “Je ressens de la sympathie même chez mes adversaires politiques, l’engagement est reconnu”.

KMD reconnait également que s’il n’y avait pas eu cet engagement politique et citoyen qu’elle aurait été une femme soumise car n’ayant pas été confrontée à d’autres perspectives “l’engagement m’a réellement libéré”.

Visions pour la Mauritanie

La Mauritanie aujourd’hui selon MLK est un pays qui est bloqué et si elle avait un souhait à exprimer ce serait : “que notre pays soit démocratique, unitaire, que chacun d’entre nous aime la Mauritanie, que les énergies se libèrent, que nous puissions avoir un Etat; ce qui est loin d’exister au jour d’aujourd’hui”.

Ses espoirs et sa vision pour la Mauritanie rejoignent son premier engagement au temps du Lycée, engagement qui n’a pas faibli depuis et resté cohérent avec son parcours.

A la question quel pays africain pourrait servir d’exemple à la Mauritanie, KMD répond que la situation mauritanienne est très unique. “Les pays qui sont dans la bande du Sahel où on a deux composantes ethniques de couleurs différentes voient leur facteur division exacerbée en prenant encore une autre dimension.

Et pourtant cela n’est qu’un masque car si nous avions des aires géographiques où la population est homogène, je suis certaine que les problèmes seront les mêmes. Au Soudan, il y a eu une scission mais cela n’a pas résolu leurs problèmes, la preuve : le Sud Soudan est toujours en proie à des guerres civiles.”

Au final, ce qui nous divise ce n’est pas le groupe culturel mais la lutte pour la survie à travers le problème d’accès et de distribution des ressources, le “problème couleur de peau” n’est qu’un masque qui ternie notre jugement.

En effet, au sein de chaque communauté il y a des problèmes de tribus, aux sein de chaque tribus des problèmes de familles et au sein de chaque famille des divisions “c’est naturel, dit-elle, on ne peut pas vivre sans frictions, sans contradictions; la compétition est inhérente au monde vivant et c’est même valable pour le monde des végétaux”.

A la question est ce que la Mauritanie sera un jour prête pour élire une femme à la tête du gouvernement, elle répond en souriant “pas pour le moment, les femmes n’ont pas encore ces ambitions car elles ne croient pas assez en elle”. Pour le mot de la fin si elle avait un vœux cher qui pouvait se réaliser “ce serait un vœux pour toute la Nation pour une Mauritanie Unie, égalitaire ou chacun se sentirait chez soit”.

Nous souhaitons de tout cœur que ce vœux se réalise… Insha’Allah.

Par Hapsa Dia

Lundi 3 Août 2015
Boolumbal Boolumbal
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