Yimbi Kumma rap contre l’esclavage en Mauritanie

Rappeur, Yimbi Kumma se bat à travers ses textes et son association contre l’esclavage qui perdurent en Afrique, tant en Mauritanie que dans le milieu soninké des pays voisins, Sénégal et Mali, et même en France.



Alors qu’Emmanuel Macron sera à Nouakchott au sommet de l’UA à la fin du mois de juin, Yimbi Kumma attend du président français une prise de position forte sur ce sujet.

1/ Yimbi Kumma, peux-tu te présenter à nos lecteurs?

Mon blaze est Yimbi Kumma qui veut dire « feu et flammes » synonyme de la lumière. Je suis devenu rappeur depuis 2004, dans l’objectif de dénoncer l’injustice et les inégalités dans mon pays la Mauritanie. Le rap, pour moi, est un outil efficace pour faire passer mon message. Depuis 2010, j’habite en France où je continue à rapper mais je m’investis aussi activement dans la lutte contre l’esclavage dans le milieu soninké auprès de l’association ARMPES et de son mouvement « GANBANAAXUN FEDDE » en tant que conseillé du président Gaye Traoré et responsable de la radio ainsi que de la marque GANBANAXU.

2/ Quelles sont tes influences musicale ?

Le rap sénégalais car il m’était plus facile de m’y identifier (en particulier Pacotille et DJ Awadi) et le rappeur américain Tupac parce que bien que ne parlant pas anglais on me traduisait ses textes et j’aimais son côté révolutionnaire.

3/ Tes textes sont très engagés en matière de droits humains, quel est l’origine de ton combat ?

J’ai grandi dans un pays où il existe plusieurs forme d’injustice c’est principalement ce qui m’a motivé à m’engager. J’ai vu un système où des privilégiés bénéficient seuls des biens du pays alors que le reste de la population est oublié, laissé à l’abandon. De cela découle une extrême pauvreté, une scolarisation catastrophique, un système de santé abandonné voir inexistant. Tout cela m’a révolté et je souhaitais par le rap le dénoncer. De plus, j’ai très tôt décidé de parler de l’épineux sujet de l’esclavage en Mauritanie et plus précisément dans ma communauté Soninké.

4/ Tu es impliqué notamment dans la lutte contre l’esclavage, c’est une question qui est encore très prégnante en Mauritanie, en quoi consiste ton action ?

Ce sujet qui me tient à cœur est complexe et pas tellement bien compris quand on ne vit pas en Mauritanie. D’un côté il y a la communauté Arabo-berbère qui pratique toujours l’esclavage dit ancien (ils possèdent des esclaves noirs). C’est pour moi incompréhensible qu’au 21ème siècle on ne s’insurge pas plus contre ça, des présidents de pays comme le Mali, le Sénégal, la Côte d’Ivoire devraient avoir leur mot à dire sachant que leurs voisins et frères de couleur sont pris comme inférieurs. D’autre part, il y a une autre forme d’esclavage inconnue au niveau international c’est celle qui subsiste dans le milieu soninké (en Mauritanie, au Sénégal, au Mali et même en France dans la diaspora soninké). C’est un système esclavagiste qui se transmet par hérédité. Les enfants d’anciens « esclaves » doivent rester « esclave » et ne doit pas se mélanger avec les descendants d’anciens « maitres », (pas de mariage entre ces deux castes, pas de possibilité de devenir chef de village, maire, député (bien qu’aujourd’hui il y ait de rares exceptions) ou même imam. Toute opposition à cet accord ancestral donne l’obligation de rendre les terres cultivables occupées depuis 3 ou 4 générations, il a même été demandé de quitter un village !

L’action que je mène aujourd’hui vise à mettre sous les yeux de tous la réalité de ce qui se passe au sein de cette communauté alors que nous sommes en 2018. J’ai fais des morceaux pour dénoncer ce système et une partie de ceux qui me suivaient m’ont critiqué mais je n’ai jamais renoncé. Avec notre mouvement « Ganbanaxun fedde » on lutte concrètement mais difficilement contre cette injustice qui est implantée depuis des siècles. Malheureusement ce qui parait être un problème interne dans une communauté dépasse les frontières (les enfants soninkés vivant en France par exemple pensent encore qu’il existe des castes supérieurs aux autres) et nous ne sommes pas tellement médiatisés dans notre combat.

5/ Vois tu des avancées ces dernières années sur ce sujet ?

On perçoit une avancée dans la mentalité des gens grâce au travail fait par Biram Dah Abeid (président de IRA), par notre association et également par la pression internationale de certains organismes comme Amnesty International et SOS esclave. Le président mauritanien à créé des tribunaux spécialisés dans les affaires d’esclavage, une journée de lutte contre l’esclavage mais dans les faits ça ne bouge pas tellement. Des personnes ont été condamnées à faire de la prison mais aujourd’hui elles n’y sont pas. L’annonce permet de faire taire les pressions mais le système continue à vivre normalement. Cependant le positif notamment dans la communauté soninké c’est qu’on sent que le sujet est posé, il fait des étincelles mais il existe ce qui promet du changement.

6/ Le président français Emmanuel Macron devrait aller à Nouakchott au sommet de l’UA à la fin du mois de juin, as-tu un message à lui faire passer ?


Est-ce que dans son discours il va oser mettre la pression sur le président mauritanien pour que celui-ci mette en application les lois visant à abolir l’esclavage et ses séquelles ?

7/ Suite au référendum constitutionnel du 5 aout 2017, le sénat a été aboli en Mauritanie. Penses-tu que la République islamique de Mauritanie est toujours une démocratie ?

Sur la forme on pourrait penser que la Mauritanie est un pays démocratique (élections, autorisation d’ouverture de médias privés …). Cependant avant ce référendum je pensais déjà que ce n’était pas le cas car le président actuel est venu au pouvoir par coups d’état, les médias ouverts ont été mis aux mains de personnes choisies, des opposants politiques sont en prison, toute manifestation est réprimée par la Police … Donc l’abolition du sénat n’est qu’une preuve de plus que ce n’est pas une démocratie.

8/ Et demain ? Penses-tu qu’un mouvement citoyen peut exister en Mauritanie, à l’instar de Y’en a marre au Sénégal pour faire pression sur le politique?


Oui je suis très optimiste sinon je ne serais pas encore là à faire le combat. En juillet 2017 j’ai eu la chance de rencontre Fou malade un leader de Y’en a marre et Smockey du Balais citoyen, on a échangé et j’ai beaucoup appris. Mais en Mauritanie le contexte est différent, deux cultures cohabitent (les arabo-berbères et les négro-mauritaniens) qui n’ont pas les même centres d’intérêt et surtout tout est fait par le système en place pour nous diviser afin de mieux régner. Dans ce contexte particulier il nous faut trouver le lien qui nous permettra qu’un mouvement citoyen prenne forme.

9/ Et toi, à titre personnel, quels sont tes projets ?


J’ai plusieurs projets que je vais bientôt mettre en action. Je souhaite notamment faire une compilation des talents mauritaniens avec des collaborateurs en Mauritanie, afin d’apporter mon expérience au hip hop mauritanien. Et je suis en cours de promotion de mon nouveau single.

Par Ali Attar


Source: http://www.afrik.com

Vendredi 22 Juin 2018
Boolumbal Boolumbal
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