Mohamed Abdallahi, dit Nahah, SG de la CGTM : « Nous n’avons pas de problème personnel avec Samory Ould Bèye... »



Mohamed Abdallahi, dit Nahah, SG de la CGTM : « Nous n’avons pas de problème personnel avec Samory Ould Bèye... »
Le Secrétaire Général de la Confédération Générale des Travailleurs de Mauritanie (CGTM), Mohamed Abdallahi, dit Nahah évoque dans cette interview exclusive, les conditions de vie des travailleurs, la plate-forme revendicative des trois centrales syndicales (CGTM, UTM, CNTM), mais aussi les raisons de leur désunion avec le leader de la CLTM, Mr Samory Ould Béye : Entretien


QDN : Les conditions de vies des travailleurs se sont-ils améliorées depuis le coup d’état du 06 août 2008 ?

Mohamed Abdallahi : Si la référence est le coup d’état, non, il y a eu dégradation. C’est vrai qu’il y a eu à cause de la conjoncture internationale, une baisse des prix des denrées des premières nécessités, notamment le riz, le sucre et le blé. Et une baisse des prix du carburant, mais malheureusement, tout cela était de courte durée, et effectivement, on assiste aujourd’hui à la crise internationale avec ses répercussions sur le plan national, aussi bien en matière de denrées de première consommation courante tels que le sucre, le riz et le carburant. Mais en plus de cela, on assiste à une fiscalité moins favorable à la population, un peu avec la TVA, qui est est de 18%, les taxations sur les communications, le carburant, le riz… C’est un ensemble de facteurs qui va avoir impérativement des incidences très négatives sur le pouvoir d’achat. S’y rajoute la stagnation des salaires nominaux. Le blocage des salaires, a une influence très négative sur le pouvoir d’achat. Il faut rappeler un autre élément très important qui nous inquiète et qui est le chômage chronique. Aujourd’hui en Mauritanie, il n’y a aucunes perspectives très claires en matière d’absorption de ce chômage. Puisque jusqu’ici, les secteurs qui peuvent être potentiellement pourvoyeurs de mains d’œuvre sont lethargiques tels que la pêche, les bâtiments, l’agriculteur. Des secteurs qui restent malheureusement très négligés par les pouvoir publics et il n’y a aucune politique réelle qui incite un peu au développement de ces secteurs pour pouvoir absorber ce chômage. Le taux de chômage très élevé conjugué à la baisse du pouvoir d’achat constitue un ensemble de facteurs qui s’ils ne trouvent pas une solution rapide par le mécanisme de la négociation entre les partenaires sociaux et les acteurs économiques, risque de conduire à des jours agités dans le pays.

Parler nous des doléances de votre plate-forme revendicative ?


On vient tout juste de présenter une plate-forme revendicative avec deux autres centrales syndicales (UTM, CNTM) qui posent neuf points au gouvernement et au Patronat et pour les quelles, on avait sollicité l’ouverture de négociations enfin de trouver des solutions à ces problèmes. Notamment il y a eu cette question des salaires, de la fiscalité, de l’emploi, de la formation professionnelle, de la protection sociale et ses différents volets aussi bien pour les secteurs publics des fonctionnaires, la révision des textes de la CNAM, la séparation du système de protection sociale des fonctionnaires, notamment la retraite et les allocations familiales pour lui donner l’autonomie nécessaire.

Et concernant la sécurité sociale des travailleurs ?

On avait posé le problème de la révision des textes de la sécurité sociale, qui a été instituée en 1967 et qui est complètement dépassée. Il a été institué dans un contexte où l’Etat prenait en charge les soins, l’éducation. Cette situation est largement dépassée, car on accuse un retard énorme par rapport aux pays de la sous-région. On avait demandé même l’introduction de deux autres branches, notamment une assurance maladie et une assurance chômage. Généralement quand on parle d’assurance chômage, on pense que c’est de l’argent à distribuer gratuitement aux chômeurs, non c’est une assurance comme toutes les autres. Avant, on avait une certaine stabilité de l’emploi, les gens de la SNIM savaient qu’ils feront leur retraite à la SNIM, ceux de la SOMELEC, du, Port aussi…, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il arrive qu’on fasse une dizaine d’années dans une entreprise et au lendemain, on se retrouve au chômage. Et par conséquent sans aucune garantie d’avoir un minimum pour faire vivre ses enfants. Pour cela, nous avons introduit une demande d’assurance chômage au niveau de la protection sociale et cela rentre dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et, par le mécanisme de la solidarité sociale, permettre à ceux qui n’ont pas le minimum de l’avoir.

Et quoi d’autres ?

On avait posé le problème de l’implication des travailleurs dans le conseil d’administration des entreprises. Aujourd’hui le secteur public est très menacé et nous souhaitons que les travailleurs soient impliqués dans la gestion de ces entreprises pour mieux contribuer à la pérennisation de ces outils de production.
Il faut également combattre le chômage. La Mauritanie était en 1995 le premier pays africain a organisé des états généraux sur l’emploi, mais malheureusement cette politique a été arrêtée par l’ensemble des acteurs intervenants dans le secteur public et privé pour les classer dans les tiroirs.
On avait aussi posé le problème de révision des textes, notamment le code du travail qui est pénalisant pour les travailleurs que ça soit en matière de liberté d’organisation, ou de liberté d’action comme le droit de grève qui est très hypothéqué par les procédures en cours.
On avait aussi demandé la révision de la convention collective du travail qui date de 1974 et qui est totalement dépassé. On avait aussi demandé la négociation des conventions sectorielles, secteurs des mines, pétrole. Vous savez dans ce pays il n’ y a que cinq conventions collectives sectorielles et la plus récente date de 1969, celle du secteur des mines. Il y a énormément de secteurs qui n’ont pas de textes qui leur sont spécifiques. Il faut aussi que la Mauritanie renoue avec ce qu’elle avait entamé dans les années 70, à savoir les institutions politiques qui doivent permettre aux travailleurs, surtout les moins nantis, la possibilité d’avoir un toit.

Et concernant le volet du logement justement ?

La SOCOGIM qui a été créée à cette fin a été détournée de sa mission première qui est de permettre à ce qui n’ont pas la possibilité d’accéder aux logements d’avoir des logements. Aujourd’hui, elle est devenue tout à fait le contraire, c’est l’élite qui accède aux logements. Nous avons aussi posé le problème de la sous-traitance, qui est un problème qui gangrène le climat du pays et qui pénalise son développement économique. Aujourd’hui, il n’y a pas une entreprise qui ne sous traite pas les travailleurs, si je passe par le cas de la SNIM, pratiquement la moitié du personnel est sous traité. Plus grave encore à la MCM d’Akjoujt, 75% du personnel est sous traité. A la Sam (Société des Aéroports Mauritanienne), à la MAURITEL, à CHINGUITEL, tous les opérateurs, toutes les entreprises se trouvent un peu dans une situation, où elles n’hésitent pas à sous traiter l’essentiel de leurs activités. Ce qui n’est pas normale et met des milliers de travailleurs dans une situation d’esclavage. Nous avons réclamé qu’il ait plus de réglementation dans ce domaine et qu’il y ait absolument dans les textes l’interdiction de ce qu’on appelle la location de la main d’œuvre.

Peut-on parler de libertés individuelles ou syndicales en Mauritanie ?

Il y a quand même une espace de libertés individuelles qui continuent, même si parfois, il y a des difficultés. Mais sur le plan des libertés publiques, il y a un recul très important, que ça soit en matière d’organisation au plan syndicale, ou en matière de privation de droit de manifester, ou encore l’accès aux médias publics. Que ça soit par rapport aux emprisonnements, car le cas de Hanefi Ould Daa constitue un casse-tête, une situation très grave qui nous préoccupe tous, car chacun de nous peut se retrouver dans cette situation. La démocratie connaît un recul dans ce pays, d’une façon générale, ce qui constitue une menace très inquiétante.

Avec cette plate-forme revendicative, on peut dire que les trois centrales syndicales (UTM, CGTM, CNTM) reconnaissent maintenant le régime actuel?

Nous sommes effectivement érigés de façon très claires contre le coup d’Etat du 06 août 2008. Ce n’est pas la première fois que nous nous positionnons contre les coups d’Etats. Il faudra se rappeler ou rappeler aux lecteurs qu’en 2003, nous avons pris position contre la tentative de coup d’Etat qui a eu lieu à l’époque. Nous avons pris position également contre la deuxième tentative de 2004. Nous avons dénoncé et pris position contre le coup d’état de 2005. Par conséquent, nous avons pris position contre le coup d’Etat de 2008. Pourquoi, les organisations syndicales sont contre les coups d’Etat parce que la logique de la force exclue les acteurs qui n’ont pas la force militaire. Aujourd’hui si la Mauritanie se confronte à un nouveau coup d’Etat, par principe nous ne pouvons qu’être opposé et prendre position ouvertement contre cela.
Même si on est contre le régime en place, la solution des coups d’Etats n’est pas une solution parce qu’il faudrait que les changements soient pacifique, deuxièmement, il faudrait qu’il soit le produit du peuple mauritanien et il faudrait que les changements soient opérer de façon démocratique pour permettre au peuple de retrouver sa souveraineté. Il faudrait aussi que les dirigeants sachent que le peuple peut les dégager par les urnes et que la récompense par les urnes soit plutôt la règle pour l’accession au pouvoir politique. Nous sommes contre les coups d’Etats , quelque soit leur nature et quelques soient les bonnes intentions de ceux qui l’on fait, parce qu’ils nous exclus de l’action elle même. Nous avons pris position contre le coup d’Etat car quand les règles de droit sont violées, nous ne pouvons que nous y opposer. Notre problème c’est le respect des procédures et des textes fondamentaux.

Ce qui veut dire que vous reconnaissez, les élections du 18 juillet 2009?

Le problème des élections et ceux qui gouvernent, ce n’est pas notre problème, en tant que organisation syndicale, en tant que citoyen mauritanien, tout le monde est libre de donner son point de vue, mais en tant qu’organisation syndicale, nous nous sommes désengagés depuis que les accords de Dakar ont été officiellement acceptés et que Sidioca est venu nommer un gouvernement et présenter sa démission. On était hors jeu par rapport aux jeux politiques, car nous ce qui nous intéresse c’est la démocratie.

On ne voit plus la CLTM marchait à vos cotés ?

J’aurais souhaité que vous posiez la question à la CLTM, pourquoi elle n’est plus avec nous. Il ne m’appartient pas de répondre à la place de la CLTM.

Il semble que vous n’êtes plus sur la même longueur d’onde ?

On a été ensemble dans le cadre de cette Coordination, des Forces des Centrales Syndicales Démocratiques opposées au coup d’Etat, et quand on est revenu à une situation plus ou moins normale et qu’on devait s’occuper de ce qui nous interpellait et qui était la cause essentielle de notre existence en tant que organisation syndicale, il y a eu une reconstitution du paysage syndical pour le moment. On souhaite qu’il soit provisoire, qu’il ne dure pas éternellement, mais pour les raisons, j’aurais souhaité que la CLTM se prononce.

Ce qui prouve vos divergences avec son leader ?


Nous n’avons pas de problème personnel avec Samory Ould Bèye. On a eu des divergences avec lui sur la question de l’utilisation de la main d’œuvre étrangère. Sur l’ordre du jour proposé à la négociation, il fallait être bien clair. Nous, notre point de vue, c’est que la négociation ne doit connaître que des questions qui relèvent du domaine de l’amélioration des textes, de faire évoluer les droits. Nous savons qu’il y a un texte qui réglemente l’utilisation de la main d’œuvre étrangère en Mauritanie. Sur ce texte, nous n’avons pas de réserve majeure. Mais dans une négociation, on ne vient pas réclamé le respect d’un texte. Le non respect d’un texte relève d’une procédure que l’on appelle la procédure contentieuse et ce n’est pas le seul texte qui n’est pas respecté. Le texte sur les heures supplémentaires n’est pas respecté, sur les élections des délégués aussi, il y a énormément de textes qui ne sont malheureusement pas respectés dans ce pays, mais on ne va les mettre sur la table de négociation. Nous avons proposé sur la table de négociation seulement les textes sur lesquels nous avons des réserves et pour lesquels nous souhaitons des modifications en vue d’améliorer le droit des travailleurs.
Pour finir, nous souhaitons que le gouvernement et les employeurs comprennent l’impérieuse nécessité et surtout l’urgence d’ouvrir des négociations avec les organisations de travailleurs pour trouver des compromis, des solutions acceptables qui préservent les intérêts essentiels des différentes parties, qui stabilise et contribue à une relance véritable de l’ économique du pays.

Propos recueillis par Dialtabé



Mardi 12 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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