Lutte contre le Salafisme en Mauritanie Le tout sécuritaire ou la logique du dialogue



Lutte contre le Salafisme en Mauritanie Le tout sécuritaire ou la logique du dialogue
Les autorités mauritaniennes semblent privilégier le Tout sécuritaire pour circonscrire la menace terroriste. A la logique du dialogue prônée par les Ulémas, l'Etat répond par une nouvelle loi antiterroriste fort marquée par son caractère répressif. Pourtant, là où le dialogue a été prôné par les gouvernants, le salafisme djihadiste a enregistré des reculs drastiques, comme en Egypte, en Arabie Saoudite et en Algérie. Qui aura le dessus, la voie de la raison ou celle de la force ?

Nos Ulémas qui viennent d'achever quatre jours de débats et de réflexions autour d'un thème portant sur la "Problématique du fanatisme et de l'extrémisme en Islam " ont demandé aux autorités d'engager un dialogue suivi avec les "Djihadistes salafistes " mauritaniens. Une recommandation qui rejoint celle avancée plus tôt par le Cheikh Mohamed El Hacen Ould Deddew lorsque dans un entretien, il avait souligné que "le dialogue est la seule voie pour circonscrire l'extrémisme et empêcher la jeunesse d'adhérer à ses courants ".

En prônant le dialogue, comme solution à moindre coût pour éradiquer le terrorisme, les érudits mauritaniens n'ont fait que retenir les leçons de l'histoire, celle des pays qui ont connu le phénomène bien avant la Mauritanie, et qui, après avoir testé l'inefficacité des méthodes musclées ont fini par recueillir les fruits de la paix sociale, à travers un dialogue direct avec les salafistes et autres extrémistes.


Classification


En effet, deux types d'approche sont avancés par les théoriciens du renseignement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme : la première, diaboliser les auteurs de terrorisme pour que la population adhère à la logique de la force publique, à l'image de ce qui est arrivé après les attentats de Casablanca au Maroc ; la deuxième, privilégier la communication avec les populations les plus sensibles aux thèses djihadistes ou avec les théoriciens de ce courant. En Mauritanie, certains cercles du pouvoir semblent non adeptes de cette seconde approche, entrevoyant dans le dialogue avec les "terroristes " un danger qui écarte toute possibilité de communication avec ces individus qu'il faut plutôt isoler et traiter comme de vulgaires criminels. Autrement dit, la réponse militaire et répressive contre ce qui est considéré comme une menace terroriste.

Selon le Cheikh Mohamed El Hacen Ould Deddew, il existe trois catégories de prisonniers salafistes dans le cas mauritanien, quelques 60 détenus, qu'il faut traiter chacun à part : il y a d'une part, les auteurs d'actes de violences contre des tiers qu'il faut juger rapidement conformément à la Charia, celui des personnes qui n'ont commis aucune violence mais qui prêchent l'idéologie du "Takfir" contestant l'autorité de l'Etat et avec lesquelles il faut ouvrir le dialogue pour les ramener sur le bon chemin, et enfin, ceux qui n'ont commis aucune violence et n'adhèrent à aucune idéologie salafiste, mais qui ont été arrêtés seulement pour leurs sympathies avec les groupes violents. Ceux-là, selon Ould Deddew doivent être libérés rapidement pour les empêcher d'évoluer vers les deux premières catégories.

Fort de l'appel ainsi lancé par plusieurs érudits, les autorités mauritaniennes avaient tenté l'ouverture vers les "salafistes " détenus à la prison civile, avant que les enlèvements d'étrangers (trois Espagnols puis deux Italiens) ne viennent conforter la thèse des Faucons sur celles déjà esquissées des Colombes. En effet, l'appel lancé le 23 novembre 2009 par 25 prisonniers "salafistes " qui avaient publié un document appelant à la fin de la violence et déclaré leur retrait du mouvement avait failli trouver écho favorable avant que les derniers incidents ne viennent tout compromettre. Ce qui poussera plusieurs analystes à déclarer que les violences que le pays vient de connaître pourraient bien mettre un terme aux tentatives d'instaurer le dialogue entre l'Etat et les groupes mauritaniens d'Al Qaïda. Le gouvernement sera plus préoccupé maintenant par les questions sécuritaires que par le dialogue, relève-t-on alors que d'autres précisent que l'Etat mauritanien ne fera plus confiance, au moins à court terme, aux promesses des salafistes de rejeter la violence et l'extrémisme.

Cependant, de telles analyses avancées dans le feu de l'actualité semblent aujourd'hui battues en brèche par les recommandations formulées par les Ulémas qui continuent de croire malgré tout aux vertus du dialogue.


Les exemples


Leur conviction est d'autant plus forte qu'ils sont persuadés que sans cette solution, des pays comme l'Egypte, l'Arabie Saoudite, la Libye ou l'Algérie n'auraient pas connu la paix relative dont ils jouissent aujourd'hui. Tous ont expérimenté en effet, la méthode musclée, celle de la répression sécuritaire, des offensives militaires, des emprisonnements drastiques, des liquidations extrajudiciaires…avant de découvrir que nulle voie autre que le dialogue ne sera pérenne et porteuse. D'ailleurs, l'histoire de la lutte antiterroriste a démontré que les prisons peuvent produire le meilleur comme le pire. C'est dans sa cellule que Seyed Imam Abdelaziz alias Docteur Fadl, figure emblématique de l'islamisme radical en Egypte a trouvé la voie de la rédemption.

En effet, c'est en prison que ce théoricien du radicalisme djihadiste, auteur de deux livres (Omda et Jamii), véritables bréviaires pour apprentis terroristes, avait renié les théories qu'il défendait, allant jusqu'à dénoncer les pratiques d'Al Qaïda et celles de son ancien compagnon de cellule Ayman Al Zawahiry, n° 2 du mouvement. C'est en prison que beaucoup de prisonniers se sont radicalisés d'ailleurs, comme Ayman Al Zawahiry et Seyed Ooth.


Revirement

Les exemples de revirement de plusieurs éminences grises du mouvement terroriste par la vertu du dialogue sont légions aussi bien en Egypte qu'en Arabie Saoudite. "Le dialogue noué entre les autorités publiques et ces groupes radicaux dans les prisons a favorisé ces mutations et a contribué à l'instauration d'un climat propice à l'échange " selon les historiens du mouvement.

L'Egypte a été la première à expérimenter la voie du dialogue après avoir essuyé les attaques des mouvements Al Jamâa Al Islamia qui renonceront en 1997 à l'usage de la violence. Alors qu'ils prônaient le djihad contre les Etats musulmans "impies " et "valets de l'Occident ", ces groupes se sont mis à combattre ces idées, dénonçant le recours aux armes et l'attaque contre les étrangers. L'Egypte libérera ainsi des centaines de prisonniers appartenant à ce groupe dont les leaders sont devenus les plus farouches critiques d'Al Qaïda dans les débats publics télévisés.

Même tendance amorcée en Arabie Saoudite, après les attaques terroristes de Riyad du 23 mai 2003 (29 victimes), alors que jusque-là le Royaume a été épinglé comme foyer du Wahabisme, et épicentre du terrorisme au soir du 11 septembre lorsque 15 des 19 auteurs de l'attentat contre le World Trade Center furent identifiés comme saoudiens. La nationalité de Oussama Ben Laden n'arrangeait pas l'image que l'Occident se faisait de l'Arabie Saoudite. Mais depuis, le Royaume a développé une véritable politique de rééducation et de réinsertion des "salafistes djihadistes " grâce à l'institution d'un régime carcéral à visage humain. Les prisonniers ont en effet accès aux livres, au sport et aux loisirs. En plus, de véritables commissions de communication ont été installées avec l'implication des érudits, des psychologues, des journalistes, des représentants du ministère de l'Intérieur, des parents et proches des prisonniers. Les détenus salafistes sont considérés non pas comme des criminels à torturer et à isoler, mais comme des victimes de "hold up mental " et de manipulations idéologiques qu'il s'agit de récupérer par un combat d'idées et de convictions. Le taux de réussite de cette méthode a été estimé à 80 % et sur les 3.000 prisonniers salafistes, 1.400 ont été libérés lorsqu'ils ont manifesté leur volonté de renoncer à leurs idées fanatiques. Cette approche a d'ailleurs inspiré les Américains dans leur lutte contre Al Qaïda en Irak.

Dans le Maghreb, la Mauritanie ferait bien de s'inspirer par delà les exemples égyptiens et saoudiens, de celles de l'Algérie et de la Libye.

Dans la Jamahiriya, le virage opéré dans la lutte antiterroriste, longtemps embourbée dans l'approche répressive et sécuritaire, a été marquée par la reddition du Groupe islamique des combattants libyens (GICL). Grâce au dialogue ouvert entre les autorités libyennes et ce groupe, 88 puis 45 membres du mouvement ont été libérés au cours d'une cérémonie officielle au cours de laquelle, les éléments du GICL ont annoncé leur repentir et la rupture de toute relation avec Al Qaïda. Geste symbolique, la tristement célèbre prison Abou Slim de Tripoli, lieu d'un massacre historique qui avait fait plus de cent tués, fut détruit.

En Algérie, après une longue guerre contre le GIA, mouvement créé après le démantèlement du Front Islamique du Salut (FIS) et l'emprisonnement de ses leaders historiques, les autorités ont enfin ouvert la voie à la réconciliation nationale, libellée en terme d'absolution contre le dépôt des armes pour tout combattant islamique. Cette solution a porté ses fruits, car l'Algérie longtemps théâtres d'opérations terroristes, a retrouvé paix et calme.


Les méfaits du sans dialogue

Le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie restent les seuls pays du Maghreb où le principe du dialogue avec les prisonniers salafistes reste prisonnier des contingences sécuritaires.

Pourtant en Mauritanie, la méthode pourrait présenter bien des avantages en termes de réconciliation et d'apaisement du front intérieur, mais aussi en termes de collaboration pour circonscrire les actions commanditées de l'extérieur. En récupérant les présumés salafistes djihadiste qui croupissent en prison, ce sont des mines d'informations et d'argumentaires que l'Etat mauritanien pourra capitaliser pour contrer les velléités d'Al Qaïda de faire de notre pays l'arrière cour de ses actions dans la région. Les prédispositions d'un tel dialogue semblent exister au sein de beaucoup de prisonniers, à l'image des 25 salafistes qui ont déjà exprimé leur repentir. En effet, certains comme Tahar Ould Biyé qui purge une peine de 8 ans, continuent à soutenir que le "dialogue évitera au pays d'entrer dans une guerre inutile et que l'ouverture préconisé par certains Ulémas, intellectuels et salafiste est la bienvenue " regrettant que du côté du pouvoir, on reste encore sourd à cet appel. Ce qui est sûr, le régime carcéral en vigueur à la prison civile où sont internés les Salafistes risque de produire des monstres, car la rigueur du traitement y est décrite comme inhumaine.


Source: L'authentique

Mardi 12 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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