Il semble que nos intellectuels aient entrepris ces jours-ci de réfléchir sur leur peu glorieux silence passé. Leurs conférences, leurs articles et leurs tables rondes (à l'image du zéro, dans la forme et le contenu) se sont multipliés au point que certains d'entre eux sont revenus sur des sujets que nous croyions dépassés par les dommages accablants et attentoires à notre cohésion nationale qu'ils ont engendrés.
Quel bénéfice notre démocratie espérée peut-elle attendre de l'affirmation que les Noirs de Mauritanie sont de simples immigrés venus d'ailleurs ? Quel intérêt y a-t-il pour ces « intellectuels » au retour de l'atmosphère de haine entre bizân et Noirs ? Et s'ils ne sont pas simplement mus par une idéologie raciste, de quelles preuves historiques disposeraient-ils pour justifier leur vision d'exclusion et de chauvinisme haineux ?
S'ils pèchent par ignorance de l'histoire de la Mauritanie, cela ne serait guère admissible pour des « intellectuels » de leur « niveau ». Au cas où ils seraient au fait des évènements historiques et qu'ils les nieraient pour des raisons particulières, il s'agirait d'une atteinte à la bonne foi indigne de ceux qui s'avancent comme une « élite ».
Ce dont nous avons besoin, c'est d'une nouvelle élite, ou d'une élite renouvelée, qui nous injecterait une bonne dose du sérum de la concorde nationale capable de nous faire oublier les douloureux évènements de 1989 en vue de reconstruire nos relations.
Pour que nous puissions commencer la bataille du développement, loin des insignifiantes et handicapantes invectives ethniques qui entravent la marche d'une Mauritanie unie. Le débat autour de « La Mauritanie des Noirs » n'a aucune justification.
Un examen sommaire des ouvrages d'histoire, de l'archéologie et des toponymes suffit à prouver que les Noirs sont établis dans ces contrées depuis bien plus longtemps que la plupart de leurs habitants.
Monsieur Muhammad b. Ibrâhîm b. Muhammad al-Fâllî écrit dans son ouvrage, « Le diadème des vertus et des saisons ou les évènements mémorables relatifs aux Qalâqima [Glâgma] descendants d'al-Sharîf Bu-Bazzûl » : « Ce qu'indiquent les sources, que rapportent les récits de la tradition orale et que confirment les fouilles archéologiques, c'est que ces territoires, avant l'islam, étaient habités par un mélange de populations noires et blanches, parmi lesquelles il y avait des juifs, des chrétiens et des idolâtres. »
Ce qu'ignorent (ou font semblant d'ignorer) ces intellectuels, c'est que les Noirs de Mauritanie étaient présent dans ce pays depuis des siècles et qu'ils ont adopté l'islam avant les Almoravides; mieux, ils ont participé aux côtés de ces derniers à la défaite des tribus berbères récalcitrantes et, par suite, à la conquête du Maghreb.
Au reste, les historiens du monde wolof estiment que le point de départ des Almoravides se situait dans la presqu'île de Saint-Louis, niant par là la localisation de ce point de départ dans l'île de Tidra comme le voudraient les historiens du Maghreb.
Si nos « intellectuels » avaient un tant soi peu étudié l'histoire des Almoravides, ils auraient sans doute médité le propos d'Ibn Khaldûn : « Mirage en été, en crue en hiver ». Car une telle description s'applique davantage au fleuve qu'à l'océan. Wuld Hâmidun écrit dans son encyclopédie : « En supposant qu'Ibn Khaldûn avait en vue le fleuve Sénégal, il se pourrait que cette île soit celle sur laquelle se situe aujourd'hui la ville de Saint-Louis.
C'est ce que disent les récits populaires wolofs. Pour ce qui est des récits populaires toucouleurs, ils disent qu'il s'agit d'une île proche de la ville de Podor. Quant aux avis d'Ibn Abî Zar‘ et d'Ibn al-Khatîb selon lesquels il s'agirait d'une île située dans l'océan, ils pourraient concerner l'île de Tidra, située entre Nouakchott et Nouadhibou."
Concernant la participation des communautés noires à l'établissement de l'Etat almoravide, l'historien Wuld Hâmidun affirme que « des éléments noirs ont apporté leur soutien aux Almoravides durant leurs campagnes ». Labbî Warjâbî — le souverain du Takrûr — était aux côtés de Yahyâ b. ‘Umar « au cours de ce siège ».
Et le nom d'Amadu Agnu apparaît parmi les compagnons d'Abû Bakr b. ‘Umar dans le Dar‘a. Il faut noter qu'Amadu veut dire Ahmad dans les langues des communautés noires et qu'Agnu signifie « Noir » en berbère.
De ce qui précède on peut déduire qu'Ahmad Le Noir (Amadu) et Labbî Warjâbî ont joué un rôle des plus importants, sans quoi, l'histoire ne nous aurait pas transmis leurs noms.
Celui qui recherche des preuves historiques de l'ancienneté des Noirs dans cette contrée et des rôles éminents qu'ils y ont joués devrait lire Les sources pures de l'histoire des Shurafâ' du Ministre al-Fishtâlî (al-Maghribî) qui rapporte que Muhammad Fâl b. Ibrâhîm Fâl (l'un des shurafâ' du Gannâr) faisait partie de la délégation de notables wolofs, toucouleurs et peuls qui accueillirent en 996 (1588) l'armée d'al-Mansûr al-Sa‘dî et la dissuadèrent — par la négociation — de s'en prendre au sud mauritanien après la destruction bien connue qu'elle infligea à Tîmbuktu.
Dans un manuscrit de l'historien Bâggâh, il est dit que des Noirs prirent le parti des Maghâfira dans le conflit de Shurbubba tandis que d'autres parmi eux adoptaient celui des zawâyâ. Le savantissime Muhammad al-Yadâlî, l'auteur de Shiyyam al-zawâyâ (« Les hautes vertus des zawâyâ ») rapporte que Nâsir al-Dîn, lorsqu'il conquit la Shamâma (Waalo) et écarta les rois noirs, installa au pouvoir al-Qâdî ‘Uthmân.
Celui-ci se mit en devoir de confier le leadership des Noirs à ceux qui en étaient dignes. Il demanda aux familles Fâl du Gannâr (les descendants du Sharîf bu-Bazzûl) d'occuper cette fonction.
Ils acceptèrent en disant : « Ces gens (c'est-à-dire les Noirs) sont nos oncles maternels et nous ne souhaitons pas les priver de leurs autorités, mais nous pouvons vous indiquer le plus juste parmi eux. Cette personne n'était autre que le frère de Abjingâr, la reine du Waalo. C'est à Abjingâr que renvoie le propos de Nâsir al-Dîn, s'adressant à al-Qâdî ‘Uthmân, lorsqu'il lui dit : « Délègue-lui l'autorité. Il sera ton assassin ».
Pour éclairer ce propos, il faut noter que les promoteurs du projet étatique de Nâsir al-Dîn avaient tué le roi de Shamâma (ou d'une partie de ses provinces), connu sous le nom de « Fâra ». Ils installèrent à sa place Yarîm Kodé (c'était son gendre) qui s'allia aux Maghâfira contre les zawâyâ de Nâsir al-Dîn et tua al-Qâdî ‘Uthmân, le « troisième des imâm », selon la formulation de Wuld Hâmidun, lequel affirme que Udayka b. Abî Ayyûb (l'un des dirigeants des Awlâd Khlîfa) conspira avec Burigrig, le chef des Noirs de Shamâma, ainsi qu'avec les chefs des deux tribus ar-Rghaywât et Bârân, pour éliminer le collège des quddât zawâyâ de Shurbubba.
Les Noirs mauritaniens ont participé à de nombreux conflits, en particuliers ceux qui déchiraient les émirats de la partie méridionale du pays. Ils entraient dans des alliances avec ou contre certaines des parties en conflit.
Les Toucouleurs, par exemple, s'allièrent avec les Brâkna contre les Trârza lors de plusieurs batailles dont l'une des plus fameuses est celle de al-Marfag en 1785 où l'émir des Trârza, A‘lî al-Kawrî wuld A‘mar wuld A‘lî fut traitreusement tué par un archer peul.
Pour souligner la forte présence des Noirs [dans l'histoire mauritanienne], citons le Dr. Muhamd al-Mukhtâr w. al-Sa‘d, qui écrit dans son livre, L'Emirat des Trarza et ses relations commerciales et politiques avec les Français entre 1703 et 1860, se référant à L. P. Cherny : « Les communautés pulaar qui avaient entrepris à nouveau de cultiver les champs situés en face de Podor, au sud du marigot de Kundi (entre al-Liggât et Podor), à partir de 1868, étaient astreintes au paiement de diverses formes d'âbbâkh (taxes) à l'émir des Trârza en échange de l'autorisation d'exploiter ces espaces agricoles. ».
Wuld al-Sa‘d rapporte les propos de Cherny dans le but de situer les frontières orientales de l'émirat des Trârza; cependant l'expression « avaient entrepris à nouveau » indique que les Pulaar exploitaient ces espaces longtemps avant 1868. Quant à leur versement de taxes, il ne signifie pas grand chose.
Il ne se distingue en rien de l'allocation des mêmes redevances par les agriculteurs bizân à divers émirs en échange de leur protection, tout comme certains d'entre eux payaient des taxes à certains émirs pour pouvoir cueillir la gomme arabique dans certaines régions.
Selon les archives françaises d'outre mer, les colonisateurs ont incendiés, au début du XXe siècle, plus de 80 villages toucouleurs et peuls établis de longue date sur la rive droite du fleuve Sénégal.
La vérité est que ceux qui nient la présence de communautés noires originaires dans ce pays nient en même temps l'identité locale de dizaines de tribus bizân issues de ces communautés.
Il est surprenant de constater que parmi nos « intellectuels » qui nient l'existence de Noirs authentiquement locaux en Mauritanie, certains se rattachent généalogiquement à des communautés noires absorbées par le monde maure depuis des siècles.
Il est du reste rare que parmi les communautés bizân du Trarza, du Brakna, de l'Assaba et des deux Hodh, il ne se trouve pas des fractions ou des familles d'origine noire.
C'est ce dont témoigne l'historien Wuld al-Sa‘d lorsqu'il écrit : « On considère que l'ensemble ‘Azzûna (Awlâd Âgshâr, Awlâd Banyûg et Ligbâ‘ât), établi depuis des siècles dans le bas delta du Sénégal (région du Trarza) est parmi les plus métissées des communautés Trârza, ayant absorbé d'anciennes communautés noires ».
Sans entrer dans de lassants détails, il convient pour ces « intellectuels » d'admettre que l'une de nos villes historiques (Walâta) a été fondée par les Soninkés en 1214, « lorsqu'ils se sont dispersés à la chute de Ghâna », selon al-Mukhtâr wuld Hâmidun.
Et lorsque le voyageur Ibn Battûta visita Walâta (alors Iwalâtin) en 1352 son souverain était un soninké appelé « farbâ ». En ce qui concerne Shingîti, et même si l'opinion unanime affirme qu'elle fut fondée par Muhammad Qullî et A‘mar Yibni (auxquels s'ajoute un troisième) en 1262, l'étymologie de son nom renvoie à « Shin Gédé » (deux mots ayant leur origine dans une langue noire, ou issus de l'azer — mélange de soninké et de berbère dont des traces subsistent encore — et qui veulent dire « enclos des chevaux » ou, selon Sahîhat al-naql du savantissime Sîdi ‘Abdullâh b. al-Hâjj Ibrâhîm, « la source des chevaux »).
Ce qui donne l'impression qu'il s'agissait d'une ville noire païenne très ancienne, tombée en ruine et reconstruite des siècles plus tard par nos trois hommes. Le poète Mhammad b. Ahmad Yûra a écrit dans L'enseignement des savants sur l'histoire des puits, après avoir explicité le sens du toponyme berbère Tindagsammi : « Le premier qui s'y établit est Aliman Damat, l'ancêtre de la noblesse de Dalmat à laquelle appartient le saint, le savant, le généreux Aliman Bubakar.
On dit que les traces archéologiques que l'on y observe leur appartiennent. ». L'auteur de l'édition critique de L'enseignement des savants…, le regretté chercheur Ahmad wuld al-Hasan (Jamâl), rapporte que al-Shaykh Muhamd al-Mâmi a écrit, dans Kitâb al-bâdiyya, qu'il a vu à Dalmat Aliman Bubakar en personne appliquer les sanctions pénales musulmanes.
Cette cité, qui témoigne jusqu'à ce jour de la présence des Noirs, n'est distante de Nouakchott que d'une soixantaine de kilomètres en direction du sud est. Y sont enterrés le savant Muhammad Sâlim wuld Alummâ et l'émir Muhammad Fâl wuld ‘Umayr.
Wuld Ahmad Yûra indique que le nom de lieu Âwlaygât (70 km à l'est de Nouakchott) vient du « berbère awdyik car il s'y trouve des restes d'anciens forages des Noirs dont notamment l'abreuvoir creusé par eux il y a fort longtemps, et dont ils extrayaient de l'eau en abondance au point que tout le monde pouvait s'y désaltérer à ciel ouvert sans corde ni récipient à puiser. Mais le temps finit par venir à bout de cet abreuvoir et le faire totalement disparaître. On y décèle encore des restes d'argile et de pierre. »
Quant à Aghmabâmît (90 km au nord est de Nouakchott), Wuld Ahmad Yûra affirme qu'il s'agit d'un diminutif (berbérisé) de « mbâm » (qui veut dire « âne » en wolof). Cette cité où ne subsiste aucune trace de vie, et qui semble avoir été wolof, abrite dans les plis de ses dunes la tombe du grand lexicographe Qutrub al-Daymânî.
Ajoutons à ces considérations que Keur Macène veut dire en wolof « chez Macène », que Ntyaynu sgnifie « gardien de nuit » au sens de surveillant armé. Il y a ainsi quantité de cités, de formations dunaires et de vallées qui conservent encore leurs anciens noms issus des langues des communautés noires.
La vérité est que personne ne nie qu'il existe des Noirs mauritaniens issus des supplétifs (« tirailleurs ») sénégalais, mais ils représentent moins de 1% des Noirs mauritaniens. Et ces derniers se sont mariés, il y a de cela des décennies, à des mauritaniennes, donnant naissance à des mauritaniens; et leurs enfants mauritaniens se sont mariés à leur tour à des mauritaniennes engendrant des mauritaniens.
Le doute quant à leur mauritanité est inadmissible. Leur cas est assimilable à celui des mauritaniens d'origine française, marocaine ou libanaise. Quant aux Noirs mauritaniens originaires, leur appartenance à la Mauritanie n'admet aucune contestation ou marchandage.
Faire de la question de leur identité mauritanienne un sujet de débat est un délit susceptible de poursuites car il s'agit d'une tentative dangereuse et particulièrement pernicieuse de nature à porter atteinte à la paix civile et à désagréger l'unité nationale.
Il était loisible aux intellectuels de l'après 13 août de nettoyer leurs âmes de la honte des années de silence coupable sans porter atteinte à l'intangibilité de nos identités.
Auteur: Mohamed Vall Ould Sidi Moyle
Article publié en 2005 en arabe
Traduit par un anonyme en décembre 2015
Lien : cheikh_mezid@yahoo.com
Source : Cheikh Mezid
Quel bénéfice notre démocratie espérée peut-elle attendre de l'affirmation que les Noirs de Mauritanie sont de simples immigrés venus d'ailleurs ? Quel intérêt y a-t-il pour ces « intellectuels » au retour de l'atmosphère de haine entre bizân et Noirs ? Et s'ils ne sont pas simplement mus par une idéologie raciste, de quelles preuves historiques disposeraient-ils pour justifier leur vision d'exclusion et de chauvinisme haineux ?
S'ils pèchent par ignorance de l'histoire de la Mauritanie, cela ne serait guère admissible pour des « intellectuels » de leur « niveau ». Au cas où ils seraient au fait des évènements historiques et qu'ils les nieraient pour des raisons particulières, il s'agirait d'une atteinte à la bonne foi indigne de ceux qui s'avancent comme une « élite ».
Ce dont nous avons besoin, c'est d'une nouvelle élite, ou d'une élite renouvelée, qui nous injecterait une bonne dose du sérum de la concorde nationale capable de nous faire oublier les douloureux évènements de 1989 en vue de reconstruire nos relations.
Pour que nous puissions commencer la bataille du développement, loin des insignifiantes et handicapantes invectives ethniques qui entravent la marche d'une Mauritanie unie. Le débat autour de « La Mauritanie des Noirs » n'a aucune justification.
Un examen sommaire des ouvrages d'histoire, de l'archéologie et des toponymes suffit à prouver que les Noirs sont établis dans ces contrées depuis bien plus longtemps que la plupart de leurs habitants.
Monsieur Muhammad b. Ibrâhîm b. Muhammad al-Fâllî écrit dans son ouvrage, « Le diadème des vertus et des saisons ou les évènements mémorables relatifs aux Qalâqima [Glâgma] descendants d'al-Sharîf Bu-Bazzûl » : « Ce qu'indiquent les sources, que rapportent les récits de la tradition orale et que confirment les fouilles archéologiques, c'est que ces territoires, avant l'islam, étaient habités par un mélange de populations noires et blanches, parmi lesquelles il y avait des juifs, des chrétiens et des idolâtres. »
Ce qu'ignorent (ou font semblant d'ignorer) ces intellectuels, c'est que les Noirs de Mauritanie étaient présent dans ce pays depuis des siècles et qu'ils ont adopté l'islam avant les Almoravides; mieux, ils ont participé aux côtés de ces derniers à la défaite des tribus berbères récalcitrantes et, par suite, à la conquête du Maghreb.
Au reste, les historiens du monde wolof estiment que le point de départ des Almoravides se situait dans la presqu'île de Saint-Louis, niant par là la localisation de ce point de départ dans l'île de Tidra comme le voudraient les historiens du Maghreb.
Si nos « intellectuels » avaient un tant soi peu étudié l'histoire des Almoravides, ils auraient sans doute médité le propos d'Ibn Khaldûn : « Mirage en été, en crue en hiver ». Car une telle description s'applique davantage au fleuve qu'à l'océan. Wuld Hâmidun écrit dans son encyclopédie : « En supposant qu'Ibn Khaldûn avait en vue le fleuve Sénégal, il se pourrait que cette île soit celle sur laquelle se situe aujourd'hui la ville de Saint-Louis.
C'est ce que disent les récits populaires wolofs. Pour ce qui est des récits populaires toucouleurs, ils disent qu'il s'agit d'une île proche de la ville de Podor. Quant aux avis d'Ibn Abî Zar‘ et d'Ibn al-Khatîb selon lesquels il s'agirait d'une île située dans l'océan, ils pourraient concerner l'île de Tidra, située entre Nouakchott et Nouadhibou."
Concernant la participation des communautés noires à l'établissement de l'Etat almoravide, l'historien Wuld Hâmidun affirme que « des éléments noirs ont apporté leur soutien aux Almoravides durant leurs campagnes ». Labbî Warjâbî — le souverain du Takrûr — était aux côtés de Yahyâ b. ‘Umar « au cours de ce siège ».
Et le nom d'Amadu Agnu apparaît parmi les compagnons d'Abû Bakr b. ‘Umar dans le Dar‘a. Il faut noter qu'Amadu veut dire Ahmad dans les langues des communautés noires et qu'Agnu signifie « Noir » en berbère.
De ce qui précède on peut déduire qu'Ahmad Le Noir (Amadu) et Labbî Warjâbî ont joué un rôle des plus importants, sans quoi, l'histoire ne nous aurait pas transmis leurs noms.
Celui qui recherche des preuves historiques de l'ancienneté des Noirs dans cette contrée et des rôles éminents qu'ils y ont joués devrait lire Les sources pures de l'histoire des Shurafâ' du Ministre al-Fishtâlî (al-Maghribî) qui rapporte que Muhammad Fâl b. Ibrâhîm Fâl (l'un des shurafâ' du Gannâr) faisait partie de la délégation de notables wolofs, toucouleurs et peuls qui accueillirent en 996 (1588) l'armée d'al-Mansûr al-Sa‘dî et la dissuadèrent — par la négociation — de s'en prendre au sud mauritanien après la destruction bien connue qu'elle infligea à Tîmbuktu.
Dans un manuscrit de l'historien Bâggâh, il est dit que des Noirs prirent le parti des Maghâfira dans le conflit de Shurbubba tandis que d'autres parmi eux adoptaient celui des zawâyâ. Le savantissime Muhammad al-Yadâlî, l'auteur de Shiyyam al-zawâyâ (« Les hautes vertus des zawâyâ ») rapporte que Nâsir al-Dîn, lorsqu'il conquit la Shamâma (Waalo) et écarta les rois noirs, installa au pouvoir al-Qâdî ‘Uthmân.
Celui-ci se mit en devoir de confier le leadership des Noirs à ceux qui en étaient dignes. Il demanda aux familles Fâl du Gannâr (les descendants du Sharîf bu-Bazzûl) d'occuper cette fonction.
Ils acceptèrent en disant : « Ces gens (c'est-à-dire les Noirs) sont nos oncles maternels et nous ne souhaitons pas les priver de leurs autorités, mais nous pouvons vous indiquer le plus juste parmi eux. Cette personne n'était autre que le frère de Abjingâr, la reine du Waalo. C'est à Abjingâr que renvoie le propos de Nâsir al-Dîn, s'adressant à al-Qâdî ‘Uthmân, lorsqu'il lui dit : « Délègue-lui l'autorité. Il sera ton assassin ».
Pour éclairer ce propos, il faut noter que les promoteurs du projet étatique de Nâsir al-Dîn avaient tué le roi de Shamâma (ou d'une partie de ses provinces), connu sous le nom de « Fâra ». Ils installèrent à sa place Yarîm Kodé (c'était son gendre) qui s'allia aux Maghâfira contre les zawâyâ de Nâsir al-Dîn et tua al-Qâdî ‘Uthmân, le « troisième des imâm », selon la formulation de Wuld Hâmidun, lequel affirme que Udayka b. Abî Ayyûb (l'un des dirigeants des Awlâd Khlîfa) conspira avec Burigrig, le chef des Noirs de Shamâma, ainsi qu'avec les chefs des deux tribus ar-Rghaywât et Bârân, pour éliminer le collège des quddât zawâyâ de Shurbubba.
Les Noirs mauritaniens ont participé à de nombreux conflits, en particuliers ceux qui déchiraient les émirats de la partie méridionale du pays. Ils entraient dans des alliances avec ou contre certaines des parties en conflit.
Les Toucouleurs, par exemple, s'allièrent avec les Brâkna contre les Trârza lors de plusieurs batailles dont l'une des plus fameuses est celle de al-Marfag en 1785 où l'émir des Trârza, A‘lî al-Kawrî wuld A‘mar wuld A‘lî fut traitreusement tué par un archer peul.
Pour souligner la forte présence des Noirs [dans l'histoire mauritanienne], citons le Dr. Muhamd al-Mukhtâr w. al-Sa‘d, qui écrit dans son livre, L'Emirat des Trarza et ses relations commerciales et politiques avec les Français entre 1703 et 1860, se référant à L. P. Cherny : « Les communautés pulaar qui avaient entrepris à nouveau de cultiver les champs situés en face de Podor, au sud du marigot de Kundi (entre al-Liggât et Podor), à partir de 1868, étaient astreintes au paiement de diverses formes d'âbbâkh (taxes) à l'émir des Trârza en échange de l'autorisation d'exploiter ces espaces agricoles. ».
Wuld al-Sa‘d rapporte les propos de Cherny dans le but de situer les frontières orientales de l'émirat des Trârza; cependant l'expression « avaient entrepris à nouveau » indique que les Pulaar exploitaient ces espaces longtemps avant 1868. Quant à leur versement de taxes, il ne signifie pas grand chose.
Il ne se distingue en rien de l'allocation des mêmes redevances par les agriculteurs bizân à divers émirs en échange de leur protection, tout comme certains d'entre eux payaient des taxes à certains émirs pour pouvoir cueillir la gomme arabique dans certaines régions.
Selon les archives françaises d'outre mer, les colonisateurs ont incendiés, au début du XXe siècle, plus de 80 villages toucouleurs et peuls établis de longue date sur la rive droite du fleuve Sénégal.
La vérité est que ceux qui nient la présence de communautés noires originaires dans ce pays nient en même temps l'identité locale de dizaines de tribus bizân issues de ces communautés.
Il est surprenant de constater que parmi nos « intellectuels » qui nient l'existence de Noirs authentiquement locaux en Mauritanie, certains se rattachent généalogiquement à des communautés noires absorbées par le monde maure depuis des siècles.
Il est du reste rare que parmi les communautés bizân du Trarza, du Brakna, de l'Assaba et des deux Hodh, il ne se trouve pas des fractions ou des familles d'origine noire.
C'est ce dont témoigne l'historien Wuld al-Sa‘d lorsqu'il écrit : « On considère que l'ensemble ‘Azzûna (Awlâd Âgshâr, Awlâd Banyûg et Ligbâ‘ât), établi depuis des siècles dans le bas delta du Sénégal (région du Trarza) est parmi les plus métissées des communautés Trârza, ayant absorbé d'anciennes communautés noires ».
Sans entrer dans de lassants détails, il convient pour ces « intellectuels » d'admettre que l'une de nos villes historiques (Walâta) a été fondée par les Soninkés en 1214, « lorsqu'ils se sont dispersés à la chute de Ghâna », selon al-Mukhtâr wuld Hâmidun.
Et lorsque le voyageur Ibn Battûta visita Walâta (alors Iwalâtin) en 1352 son souverain était un soninké appelé « farbâ ». En ce qui concerne Shingîti, et même si l'opinion unanime affirme qu'elle fut fondée par Muhammad Qullî et A‘mar Yibni (auxquels s'ajoute un troisième) en 1262, l'étymologie de son nom renvoie à « Shin Gédé » (deux mots ayant leur origine dans une langue noire, ou issus de l'azer — mélange de soninké et de berbère dont des traces subsistent encore — et qui veulent dire « enclos des chevaux » ou, selon Sahîhat al-naql du savantissime Sîdi ‘Abdullâh b. al-Hâjj Ibrâhîm, « la source des chevaux »).
Ce qui donne l'impression qu'il s'agissait d'une ville noire païenne très ancienne, tombée en ruine et reconstruite des siècles plus tard par nos trois hommes. Le poète Mhammad b. Ahmad Yûra a écrit dans L'enseignement des savants sur l'histoire des puits, après avoir explicité le sens du toponyme berbère Tindagsammi : « Le premier qui s'y établit est Aliman Damat, l'ancêtre de la noblesse de Dalmat à laquelle appartient le saint, le savant, le généreux Aliman Bubakar.
On dit que les traces archéologiques que l'on y observe leur appartiennent. ». L'auteur de l'édition critique de L'enseignement des savants…, le regretté chercheur Ahmad wuld al-Hasan (Jamâl), rapporte que al-Shaykh Muhamd al-Mâmi a écrit, dans Kitâb al-bâdiyya, qu'il a vu à Dalmat Aliman Bubakar en personne appliquer les sanctions pénales musulmanes.
Cette cité, qui témoigne jusqu'à ce jour de la présence des Noirs, n'est distante de Nouakchott que d'une soixantaine de kilomètres en direction du sud est. Y sont enterrés le savant Muhammad Sâlim wuld Alummâ et l'émir Muhammad Fâl wuld ‘Umayr.
Wuld Ahmad Yûra indique que le nom de lieu Âwlaygât (70 km à l'est de Nouakchott) vient du « berbère awdyik car il s'y trouve des restes d'anciens forages des Noirs dont notamment l'abreuvoir creusé par eux il y a fort longtemps, et dont ils extrayaient de l'eau en abondance au point que tout le monde pouvait s'y désaltérer à ciel ouvert sans corde ni récipient à puiser. Mais le temps finit par venir à bout de cet abreuvoir et le faire totalement disparaître. On y décèle encore des restes d'argile et de pierre. »
Quant à Aghmabâmît (90 km au nord est de Nouakchott), Wuld Ahmad Yûra affirme qu'il s'agit d'un diminutif (berbérisé) de « mbâm » (qui veut dire « âne » en wolof). Cette cité où ne subsiste aucune trace de vie, et qui semble avoir été wolof, abrite dans les plis de ses dunes la tombe du grand lexicographe Qutrub al-Daymânî.
Ajoutons à ces considérations que Keur Macène veut dire en wolof « chez Macène », que Ntyaynu sgnifie « gardien de nuit » au sens de surveillant armé. Il y a ainsi quantité de cités, de formations dunaires et de vallées qui conservent encore leurs anciens noms issus des langues des communautés noires.
La vérité est que personne ne nie qu'il existe des Noirs mauritaniens issus des supplétifs (« tirailleurs ») sénégalais, mais ils représentent moins de 1% des Noirs mauritaniens. Et ces derniers se sont mariés, il y a de cela des décennies, à des mauritaniennes, donnant naissance à des mauritaniens; et leurs enfants mauritaniens se sont mariés à leur tour à des mauritaniennes engendrant des mauritaniens.
Le doute quant à leur mauritanité est inadmissible. Leur cas est assimilable à celui des mauritaniens d'origine française, marocaine ou libanaise. Quant aux Noirs mauritaniens originaires, leur appartenance à la Mauritanie n'admet aucune contestation ou marchandage.
Faire de la question de leur identité mauritanienne un sujet de débat est un délit susceptible de poursuites car il s'agit d'une tentative dangereuse et particulièrement pernicieuse de nature à porter atteinte à la paix civile et à désagréger l'unité nationale.
Il était loisible aux intellectuels de l'après 13 août de nettoyer leurs âmes de la honte des années de silence coupable sans porter atteinte à l'intangibilité de nos identités.
Auteur: Mohamed Vall Ould Sidi Moyle
Article publié en 2005 en arabe
Traduit par un anonyme en décembre 2015
Lien : cheikh_mezid@yahoo.com
Source : Cheikh Mezid