L'esclavage et le dialogue national



- J'avais publié, le 27 février 2012, sur le site électronique Cridem, un article intitulé "Ce que je pense. " Il dégage des idées à propos des remous que générait la scène politique de l'époque. En toute modestie, il n'est pas inutile de faire parfois état de ses idées, tout en comprenant les avis dissidents qu'elles pourraient engendrer. Les unes et les autres, étant légitimes, ne feront certainement qu'enrichir le débat.

Je revisite, de nouveau, ce texte en lui apportant quelques modifications. Cependant, celui initial, in extenso, est toujours en vigueur sur le site en question. Du fait de leur récurrence, je ne fais part, cette foi-ci, que de la question de l'esclavage, mais aussi des anciens esclaves (I), et du dialogue politique (II), faisant abstraction des relations extérieures du pays.

Même si les deux questions demandent une étude plus fouillée qu'un simple texte qui ne peut prétendre à l'exhaustivité. Sans revenir sur les soubresauts de la vie politique nationale depuis août 2005, et surtout celui subséquent à la chute de Monsieur Sidi Ould Cheikh Abdallahi en août 2008, j'estime que ceux-ci sont connus de tous.

A leur issue Monsieur Mohamed Ould Abdel Aziz avait été élu comme Président de la République pour deux mandats. S'ensuivit la reconnaissance de son pouvoir, à des degrés divers et de façon progressive, par ses adversaires politiques.

Au cours des premières années du premier mandat présidentiel, le pouvoir et sa majorité défendaient leurs acquis politiques, et à contrario l'opposition assumait son rôle. Les uns et l'autre usaient de la rhétorique solennelle qui s'imposait à cet effet. Ce dualisme majorité/opposition offrait un tableau de confrontation politique apaisé et normal.

Ce constat prend en compte une appréciation de jure de la configuration politique nationale, et fait abstraction du long débat inhérent à la question que soulève, chez une certaine doctrine, l'adaptabilité des principes du miracle grec dans les pays en développement ou du Sud. Et, donc, de la différence structuro historique de l'épanouissement de ce miracle dans les pays du Nord.

C'est un ancien débat qui éclaire, de façon fort utile, les spécificités des pays, notamment de leurs conditions sociopolitiques objectives. Ce qui relève plus du domaine de la recherche scientifique et académique.

I. La question de l'esclavage et des anciens esclaves

Le terme esclavage, au lieu des esclaves, tout court, que certains utilisent pour justifier un existant, traduit une pratique qui revêt un caractère historique irréfutable.

C'est-à-dire, qu'à un certain moment de l'évolution historique de l'ensemble que j'appellerais négro maure, il y eut une compartimentation sociale – héritée par ce qui allait devenir, plus tard, à partir de la fin des années 1957, l'Etat mauritanien – subséquente aux mutations sociales au sein de cet ensemble.

Lesquelles ne sont que le résultat de confrontations violentes et de luttes de classement politique, étalées dans le temps, bien datées et connues (la fin du XVIe s. - milieu XVIIe s.) Ses conséquences évidentes étaient la suprématie du vainqueur, plus sur le plan politique qu'économique.

Il en découla toute cette compartimentation sociale dont nous vivons actuellement les derniers vestiges et avatars, et qu'un certain auteur avait comparée à celle en vigueur en Inde (Constant Hamès, La société maure ou le système des castes en dehors de l'Inde, Cahiers internationaux de sociologie, vol. XLVI, 1969, PUF, p. 163.)

Donc, la classe des esclaves pour être précis – dans la mesure où le terme esclavage est un terme qui exprimerait plus la pratique au sens dégradant du terme et privatif de liberté, entendue comme la traite négrière des flottes coloniales européennes, le travail dans les plantations ouest américaines – avait à l'instar des autres (guerriers, marabouts, forgerons, etc.), un rôle précis à jouer au sein de cet ensemble. A savoir la mise en œuvre de travaux domestiques et d'élevage, comme aux uns incombaient le pouvoir politique et militaire, aux autres un rôle d'avant-garde spirituelle, mystique et de négoce, ainsi de suite.

L'émergence historique d'une classe d'esclaves en milieu négro maure n'est pas exclusive. On peut remonter à la civilisation gréco romaine, en passant par l'Egypte pharaonique, plus tard en Arabie et en Asie mineure.

On ne vous apprend rien. Car, tout bouleversement politique, du plus spectaculaire au plus insignifiant, charrie le plus souvent des bouleversements sociaux et politiques, et particulièrement dans les sociétés traditionnelles, enfantant ainsi un rapport de forces incontournable.

Du coup, la volonté institutionnelle, intégrationniste, et de table rase du passé de l'Etat moderne, vient se superposer aux restes de ces sociétés avec les conséquences que l'on connaît: impossibilité de dépassement systématique de cet héritage traditionnel à travers tous ses aspects, non seulement esclavagiste, mais aussi aristocratique simple et féodal, l'utilisation actuelle, comme carte politique, de cette question structurelle par les descendants d'anciens esclaves ou affranchis, etc.

Donc, c'est un état de fait à gérer, à contrecarrer par un arsenal législatif répressif, comme il en existe sur le plan du droit positif mauritanien depuis quelques années.

Par contre la disparition du vocable anciens esclaves, Harratines ou de descendants de cette caste – et je ne dirais pas de l'esclavage – que la société négro maure traditionnelle confina, à un certain moment, dans un rôle de contribution sociale précis n'est pas pour demain.

Car, son caractère subjectif est significatif, et c'est plus dans les esprits qu'il faudra combattre cette séquelle. Le plus significatif c'est l'incrimination récente de la personne qui traiterait une autre de Abd ou d'esclave. La condamnation officielle est là, seul le temps fera le reste. Plus un pays eut à connaître cette classe, plus la disparition de celle-ci est sujette à son ancienneté.

Donc, parler des esclaves en Mauritanie, après une cinquantaine et quelques de vie politique étatique ne doit pas être vu sous l'angle de la surprise. C'est un phénomène clinique qui doit être accepté comme des restes d'un fait social appelé, obligatoirement, un jour à disparaître. Si un coupable est à indexer, c'est beaucoup plus l'histoire que la structure étatique dirigeante quelle qu'elle soit.

Si chaque classe sociale réclame sa particularité, si elle s'estime lésée dans un contexte d'égalité sociale, ou au contraire, de reconnaissance politique, où est ce que nous irons?

La classe des descendants de résistants, ou de guerriers, pourrait estimer que l'Etat lui est redevable – du fait de l'œuvre de sauvegarde spatiale initiale, en dehors de celle de résistance tout court, entreprise dans certaines régions du pays, de leurs ancêtres – d’une certaine reconnaissance étatique et qu'elle entend voir son statut rehaussé à l'image des Sir ou Lords en Angleterre, par exemple, les forgerons, entre autres, pourraient dénier leur ostracisme et leur réclusion sociale.

C'est tout le danger de cette menace d'appropriation identitaire, tous azimuts, qui guette la société mauritanienne. Il a été souligné, à juste titre, par Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz lors de sa récente rencontre avec les journalistes.

Par ailleurs, on peut témoigner, depuis le dernier quart du siècle dernier, de la liberté d'action, de l'autorité, mais aussi du respect, dont jouissaient les descendants d'esclaves, ou haratines, dans la plupart des régions du pays. Pour ne pas les citer. Leur progéniture bénéficiaient du droit à l'éducation, et vaquaient à l'école au même titre que leurs frères négro maures.

Avec la naissance et sous l'influence du mouvement politique El Hor, au début des années 1980, certains descendants d'anciens esclaves avaient choisi de voler de leurs propres ailes, sans que cela ait été pris comme une rébellion, ni comme une attitude condamnable.

Paradoxalement, cet exutoire avait servi à certains à raffermir leurs liens, je ne dirais pas avec leurs anciens maîtres, mais plutôt avec leurs frères d'adoption et de sang d'une part, mais avait contribué, également, au retour de certains auprès de ces derniers, d'autre part. C'est dire la démystification qui doit prévaloir.

Cette question relative à des esclaves ayant existé à une certaine époque et les résidus actuels qui s'y rapportent est la qualification qui s'impose. Elle peut bien être débattue, entre autres questions, en vue d'institutionnaliser, davantage, sa condamnation de façon rétroactive, dans le cadre d'un dialogue national, dans l'attente de son éradication dans les esprits.

II. La question du dialogue national

Le pouvoir politique actuel s'est trouvé, depuis sa consécration élective, en possession d'atouts qui lui permettent d'engager le dialogue politique national. D'emblée, un certain nombre de questions ne doivent être ignorées cependant: l'opposition se bat, généralement, pour améliorer le cadre institutionnel et juridique au sein duquel se déploie son action.

Tout comme elle est regardante sur le respect par le pouvoir en place de la mise en œuvre de cet arsenal juridique. Donc, somme toute, une relation normale qui se traduit par " Une cote mal taillée qui préside aux relations quotidiennes entre le pouvoir et l'opposition (au plan national et local), à leur remise en cause périodique dans leur rôle respectif, au même titre que la conciliation entre la souveraineté de l'Etat et celle des individus. "(In Jean Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Monchrestien, 1987, p. 227.)

Cette opposition ne doit outrepasser son rôle de contre pouvoir, en ce sens qu'elle ne peut demander que le respect de ses droits. Et, justement, le dialogue doit se limiter à la discussion de ceux-ci.

Lesquels peuvent être améliorés, tout comme on peut s'en tenir aux dispositions constitutionnelles existantes. Tout dépend de l'ordre du jour mutuellement accepté, et qui donne lieu à d'âpres négociations et de discussions sanctionnées par un accord mutuel.

Cependant, la revendication pour la revendication et sans objet n'est pas du rôle de l'opposition, mais plutôt la préparation de la conquête du pouvoir dans le respect des institutions. Ce pouvoir qu'elle espère conquérir demande du chemin à faire, et tous les moyens ne sont pas autorisés pour le conquérir.

En effet, le premier dialogue national avait pâti, en dépit d'un certain nombre d'acquis (certains amendements constitutionnels, interdiction des coups d'états, commission électorale indépendante, etc.), du boycott d'une partie de l'opposition.

A l'époque du printemps arabe qui avait prévalu dans quelques pays arabes, nous avions souligné les différences entre les tissus sociopolitiques et économiques des pays. En ce sens que l'un, de ces derniers, peut vivre des expériences qui ne sont pas obligatoirement réalisables chez l'autre.

A cet égard, l'essai d'un mimétisme conjoncturel d'une partie de l'opposition nationale, dans le contexte de l'effervescence politique régionale de l'époque, avait buté sur sa conscience de la particularité structurelle de la nation mauritanienne.

Toutes proportions gardées, durant les événements de mai 1968 en France, le Premier ministre Pompidou confia à son collègue Michel Jobert: "L'opinion publique est contre nous, il faut lui donner le temps de réaliser ce qu'est mai 68, et où ça va la mener."

Et nous avions, également, souligné que sans préjuger du sentiment de l'opinion publique nationale, il est salutaire à ce que les partis politiques de l'opposition radicale prennent le temps de comprendre ce qui se passe autour d'eux, de ne pas aller vite en besogne pour arriver, à la fin, à des résultats regrettables.

Encore que ces révolutions arabes n'avaient pris comme cibles que des régimes qui sont restés plus de trois à quatre décennies au pouvoir. Encore que la rue mauritanienne est plus préoccupée par les problèmes de son quotidien que par la défense d'une idéologie politique pour laquelle elle n'est pas préparée.

Par ailleurs, le pouvoir politique a le droit de préserver et de défendre ses acquis politiques, tout en faisant preuve de bonne volonté, et tout en manifestant son attention à l'appréciation populaire qui est le gage de sa continuité. Tout comme l'opposition doit assumer son rôle dans l'adversité responsable et légale.

Le pouvoir et l'opposition doivent s'entendre sur le plus pressant: comment reformuler l'administration, l'éducation, la santé, les infrastructures, l'hygiène, l'emploi? Autant de questions, plus préoccupantes les unes que les autres, et dont la solution n'est pas sujette à l'existence d'un pouvoir particulièrement désigné.

Dr Sidi Mohamed Ould Sidi



Source : Ould Sidi Sidi Mohamed

Lundi 11 Mai 2015
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