Kawtal : Déclaration et lettre adressée à toutes les organisations internationales et chancelleries à Nouakchott



Kawtal Ngam Ƴellitaare - Objet : Du projet FIDA en Mauritanie et de la spoliation des terres

Le 03 mai 2017, le Fonds des Nations Unies pour le Développement Agricole et le gouvernement mauritanien on lancé le démarrage du Projet FIDA pour le développement des filières inclusives.

Le 18 mai, le wali du Brakna publie un arrêté portant composition d’une commission d’attribution des terres dans le département de Boghé et les conditions d’attribution.

Il s’est avéré qu’avant même la publication de cet arrêté, en violation flagrante des dispositions de l’ordonnance 83- 127 du 05 juin 1983 portant réforme foncière et domaniale, et sans concertation aucune avec les populations concernées, propriétaires légitimes des terres ciblées, plusieurs milliers de demandes d’attributions étaient enregistrées à la préfecture de Boghé.

Ces demandes, venant majoritairement de populations étrangères au département. Kawtal salue la résistance des populations du département face à une politique discriminatoire de spoliation des terres des populations noires de la vallée. Elle apporte son appui sans faille en menant le combat de la résistance avec les paysans propriétaires bénéficiaires prioritaires légitimes des projets sur leurs terres.

Kawtal condamne vigoureusement les propos du Hakem de Boghé tenus ce jour 02 juin 2017 devant une délégation des paysans, affirmant que l’état ne connaît pas de propriétaire de terres en Mauritanie.

Kawtal n’hésitera pas à engager une procédure judiciaire internationale contre le gouvernement mauritanien pour crime contre l’humanité pour cause de spoliation injuste des terres des paysans noirs de la vallée.

Enfin, Kawtal appelle les Nations Unies et le FIDA à suspendre le projet de Développement des filières inclusives de 45 millions de dollars jusqu’au règlement de la question lancinante et récurrente de spoliation des terres par des états généraux du foncier qui constituent une de nos exigences fondamentales pour une nouvelle réforme foncière en Mauritanie.

Nouakchott, le 02 juin 2017

La Cellule de Communication.

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A son Excellence Monsieur le Représentant Résident des Nations Unies à Nouakchott,

A son Excellence Monsieur le Représentant Résident de la Banque Mondiale à Nouakchott,

A son Excellence Monsieur le Représentant Résident de l’Union Européenne à Nouakchott,

A vos Excellences Messieurs les ambassadeurs des pays amis accrédités à Nouakchott,

Objet : De la spoliation des terres des noirs mauritaniens de la vallée aggravée par le projet FIDA sur le développement des filières inclusives

Monsieur,

KAWTAL à l’honneur de vous saisir en urgence sur la situation très grave avec des développements récents de la politique de spoliation des terres agricoles des noirs mauritaniens de la vallée. A plusieurs reprises, les organisations de droits humains, et particulièrement KAWTAL, ont attiré l’attention de la communauté internationale, et principalement les Nations Unies sur les risques et les dangers de la politique raciste, discriminatoire et esclavagiste du gouvernement mauritanien à l’endroit des communautés noires du pays.

Si cette politique a pris une tournure inhumaine et criminelle depuis les événements dits de1989 avec les centaines d’assassinats ciblés et les déportations de dizaines de milliers noirs au Sénégal et au Mali, elle prend aujourd’hui une tournure qui risque de mettre de nouveau le pays à feu et à sang avec un risque très élevé de guerre civile, et je pèse mes mots.

En effet, depuis le départ de Ould Taya du pouvoir, une stratégie systématique de réduction de la population de la composante noire du pays et de spoliation de ses terres est mise en œuvre par le système qui gouverne le pays. Cette politique garde les mêmes objectifs et finalités que celle menée auparavant par le pouvoir de Ould Taya, à la seule différence que Ould Taya utilisait les méthodes brutales faites d’assassinats massifs de militaires noirs et de civils, de déportations massives et d’exils forcés. Aujourd’hui, le système s’appuie sur trois à quatre leviers interconnectés avec une politique sournoise qui vise à ne pas attirer l’attention de la communauté internationale sur sa politique de violation systématique des droits de la composante majoritaire du pays.

D’abord l’administration régionale et départementale de la vallée est « beydanisée » (composée exclusivement de beydanes, maures blancs appelés officiellement arabes) à 100% dans la vallée du fleuve peuplée naturellement de négro-africains et composée aujourd’hui à plus de 90% par cette communauté. Les gouverneurs, les préfets, les juges, les Directeurs régionaux de sûreté, les Commandants des bases militaires et de marine, les Commandants de Gendarmerie, les Directeurs des Centres d’enrôlement à l’état-civil, tous sont arabes. Vous n’y trouverez aucun négro-mauritanien.

Après le départ du dictateur Taya du pouvoir en 2005, l’acte 1 de cette politique a été le refus de reconnaissance de la totalité des déportés mauritaniens au Sénégal et au Mali en droit de revenir au pays. Seuls à peu près 24 000 d’entre eux ont eu ce droit reconnu par le pouvoir éphémère de Sidy Ould Cheihk Abdellahi sur plus de 60 000 déportés. Rentrés au pays suite à l’accord tripartite entre la Mauritanie, le Sénégal et le HCR, seuls 8000 d’entre eux ont eu droit à des papiers d’état-civil. Ce qui leur prive de tous les droits d’un citoyen, même des droits les plus élémentaires comme ceux des droits à la scolarisation des enfants mineurs, en violation flagrante de la convention internationale des Nations Unies sur les droits des enfants et de celle des droits de l’homme. Aujourd’hui, la majorité des déportés rentrés au pays sont apatrides et réfugiés dans leur propre pays.

Ces populations, malgré les termes de l’accord, n’arrivent jusqu’à présent pas à recouvrer leurs terres de cultures, leurs villages occupés par d’autres populations venues du nord, et leurs biens spoliés comme le bétail et autres. Ils vivent dans des camps de fortunes, la plupart du temps sans aucune structure de base, ni école, ni infirmerie, sans terres de cultures.

En 2011, le pouvoir a repris, avec des objectifs inavoués et inavouables, la politique d’enrôlement des populations du pays initiée déjà en 1998 par Ould Taya. Une agence spéciale qui y est dédiée a été créée à cette fin avec à sa tête un des plus proches lieutenants du Président Aziz. Aujourd’hui cette agence est un véritable état dans l’état.

Son Directeur a plus de pouvoirs qu’un ministre du gouvernement et dépend de fait, directement de la Présidence de la république. Dès le départ, cette agence a montré ses objectifs racistes et racialistes avec une politique agressive faite de soupçon systématique à l’endroit de tout noir du pays comme étant un Sénégalais. D’ailleurs tout au début, tout noir, ne devrait-il pas, pour justifier sa nationalité mauritanienne, réciter des versets du coran que choisissait pour lui le chef de bureau de l’enrôlement ! Quelle aberration.

Aujourd’hui, quelques soient les pièces à conviction qu’un noir apporte avec lui, il est obligé de passer par la justice pour les authentifier ou pas. Que ces documents soit des documents nationaux (comme les pièces d’identités, les passeports, ou les extraits de naissance) ou pas, comme les certificats de mariage faits à l’étranger, les naissances à l’étranger, etc. Malheureusement, l’enrôlement d’un noir, de fait, ne dépend que de la bonne humeur du juge ou du Chef de bureau de l’enrôlement.

Nous avons des parents enrôlés et des fils refusés, des personnes enrôlées et leurs frères ou sœurs rejetés, des maris enrôlés et des épouses rejetées, des situations inimaginables partout ailleurs dans le monde.

Ceci fait qu’aujourd’hui, la majorité des noirs du pays ne sont pas des citoyens reconnus, alors que le pouvoir n’arrête de multiplier les décisions d’exclusion systématique de tout celui qui ne dispose pas des nouveaux documents d’état-civil : pas de scolarisation des enfants (désormais obligés de disposer d’une carte d’identité nationale dès l’âge de 10 ans !), par de droit au travail, pas de droit au concours nationaux, et maintenant, pas de droit à la terre, même à celle que vous avez hérité de vos ancêtres selon l’arrêté du Wali du Brakna du 18 mai 2017 courant.

Cette situation a rendu des centaines de milliers de noirs apatrides dans leur propre pays. Des dizaines de milliers d’autres à travers le monde sont des émigrés apatrides. Dans plusieurs pays, comme par exemple en France, ces mauritaniens n’arrivent pas à renouveler leurs titres de séjour à cause du refus des autorités consulaires de leurs délivrer le passeport exigé par les préfectures du pays pour toute délivrance de titre de séjour. On vous refuse simplement un passeport parce que vous avez un frère non enrôlé, ou parce que vous avez un fils de dix ans sans carte d’identité, parce que votre conjoint est d’origine étrangère, etc.

Tous les alibis sont bons pour vous priver de ce sésame. Des milliers de mauritaniens noirs ont ainsi perdu tout droit dans les pays d’accueil, perdu leur boulot, leurs droits sociaux, et n’arrivent même plus à pouvoir voyager.

La question foncière est dans tout cela le cœur du problème. Les milliers d’ha de terres cultivables de la vallée sont depuis les années 80, sous la convoitise de l’oligarchie militaro-affairiste qui dirige le pays, des hommes d’affaires beydanes, de simples spéculateurs fonciers beydanes, mais aussi de l’agro-business international venant principalement des pays arabes alliés du régime et même du Fonds Arabe de Développement. Une politique systématique de spoliation des terres est menée depuis, sous couvert de l’ordonnance 83-127 du 05 juin 1983 portant réforme foncière et domaniale.

KAWTAL, depuis sa création, a mené une campagne d’opposition systématique à cette politique en collaboration avec certaines associations du pays. D’ailleurs, en 2014, la Caravane Contre la spoliation des terres que nous avions initiée et organisée avec d’autres ongs avait valu leur arrestation et condamnation à deux ans de prison à Djiby SOW président de KAWTAL et à Biram Dah Abeid président de IRA ainsi qu’à des condamnations diverses d’autres jeunes militants de nos organisations.

Aujourd’hui, ce que nous constatons surtout, c’est que même l’ordonnance de 1983 est un simple alibi, puisque ses dispositions sont purement et simplement ignorées des autorités. A titre d’exemple, seules les terres dites mortes peuvent être classées dans le domaine public, mais l’année dernière, nous avions vus des gendarmes envoyés par les autorités détruire des pousses de mil dans les champs à Darel Barka dans la Brakna sous prétexte que ces terres étaient désormais affectées à des hommes d’affaires arabes du moyen Orient.

Aujourd’hui, le Fonds International de Développement Agricole et le gouvernement mauritanien ont officiellement lancé depuis le 03 mai dernier le Projet de développement de filières inclusives en Mauritanie d’un montant global de 45 millions de dollars. Et c’est seulement après ce lancement officiel, que les autorités régionales du Brakna ont sorti de leurs tiroirs la stratégie cachée du gouvernement de spoliation des terres au profit de populations venues principalement d’autres régions du Nord du pays.

Le 18 mai, c’est le gouverneur du Brakna qui publie un arrêté, sans concertation aucune avec les populations, définissant des conditions d’accès aux terres et donnant la composition d’une commission chargée de l’attribution des terres. Ce que nous remarquons dans cet arrêté d’abord, c’est qu’il ignore systématiquement que ces terres ont des propriétaires légitimes, ensuite il exclue de l’attribution toute personne ne disposant pas de pièce d’identité alors que nous savons que cette politique d’état-civil a justement sciemment été élaborée et mise en pratique dans ce but, les propriétaires des terres seront eux-mêmes exclus du fait de l’article 6 de l’arrêté qui exclue toute personne ayant déjà bénéficié d’une parcelle au sein du Casier Pilote de Boghé.

Rien que ces deux conditions précitées vont exclure la quasi-totalité des populations locales, propriétaires légitimes des terres héritées de leurs ancêtres, qui, rappelons le, sont composées en grande majorité de terres non mortes cultivées en hivernage et en décrue. La commission d’attribution est dirigée par le Préfet lui-même avec comme membres les principaux responsables de l’administration régionale et départementale dont la quasi-totalité sont des beydanes, il y est adjoint le maire de Boghé et quelques barrons locaux, retraités, principalement anciens officiers de l’armée ou cadres supérieurs de l’administration.

C’est dire que seuls les représentants du pouvoir et ceux qui lui sont proches et soumis sont membres de cette commission. Avant même la publication de cet arrêté, les populations du département de Boghé ont su que plus de 8000 demandes d’attributions de terres étaient déjà enregistrées à la préfecture. Demandes bien sûr, issues principalement de populations maures venant d’autres régions et déjà averties en amont.

Nous ne sommes pas sans ignorer que les populations refusent toute spoliation de leurs terres. Elles l’ont manifesté à qui veut l’entendre. Elles exigent l’arrêt des procédures et de tout le projet tant que cette question n’est pas réglée. Toute la communauté noire du pays est mobilisée. Boghé n’étant vu, à juste titre que le début du processus qui affectera toute la vallée. Les appels à la résistance se multiplient, et on hésite plus, à travers les réseaux sociaux, à appeler ouvertement à la violence. Le pays devient de plus en plus une poudrière.

Il y a seulement quelques jours, suite à une grève des taxis, les jeunes noirs des quartiers périphériques de Nouakchott, de Boghé, de Sélibaby, se sont violemment attaqués aux beydanes et à leurs biens. N’eût été une gestion pacifiste de la situation, avec une maîtrise et une prise de distance sage des médias, la situation aurait pu empirer malgré quelques blessés et quelques boutiques vandalisées.

Au moment où les populations noires du pays vivent la plus grande exaspération face à une politique systématique d’exclusion dans tous les domaines, le financement du FIDA ne fait qu’aiguiser les appétits fonciers des tenants du système, et ne fera que rajouter de l’huile sur le feu. C’est pourquoi, nous KAWTAL appelons tout simplement à sa suspension, voire son arrêt, en attendant la satisfaction de notre exigence fondamentale des états généraux du foncier pour une nouvelle réforme et un nouveau mode de gestion du foncier, à défaut, bien sûr des états généraux de la cohabitation intercommunautaire que nous appelons de tous nos vœux.

Aujourd’hui, les populations du sud sont prêtes à tout, et n’eût été les rôles jouées par certaines associations comme KAWTAL, beaucoup seraient déjà tombés dans le champ de la violence. Par le passé, la Mauritanie a reçu des milliards d’aide pour son agriculture, mais ces milliards ont toujours été détournés et sont le plus souvent tombés dans les poches des tenants du système. Aujourd’hui que les instruments internationaux en matière de suivi et de contrôle se perfectionnent de plus en plus, le système n’a trouvé de mieux que de dépouiller les noirs du pays de tout ce qui leur reste pour la survie.

Après la déclaration de la communauté internationale classant la spoliation des terres comme crime contre l’humanité, le régime de Nouakchott devrait savoir que des organisations comme la nôtre, seraient toujours prêtes à assurer la veille et à engager, si nécessaire, un bras de fer avec le pouvoir, y compris au niveau des plus hautes juridictions internationales.

Les politiques d’administration directe et systématique des noirs par des beydanes, le refus du retour des déportés et des exilés, la politique d’enrôlement des populations qui exclue la majorité des noirs du pays, et la politique de spoliation des terres, ne sont en fait rien d’autre que des politiques de continuation des déportations de Ould Taya par des exils « volontaires » qui visent à pousser les noirs en dehors du pays, quitte à devenir des apatrides errants à travers le monde, comme c’est déjà le cas pour des milliers d’entre eux.

Comment voulez-vous qu’un père de famille sans papiers d’état-civil, dont les enfants ne peuvent pas aller à l’école sous prétexte qu’ils ne sont pas enrôlés, un père de famille obligé, comme à Donaye au Trarza et ailleurs, à enterrer ses morts au Sénégal voisin parce que les cimetières où reposent ces ancêtres sont désormais la propriété d’un beydane, un père de famille éleveur à Diatar, qui ne peut plus faire paître ses moutons parce que désormais, après 40 m du village, toutes les terres appartiennent à un baron du pouvoir, comment voulez-vous que ce père de famille résiste à la tentation de tout abandonner pour un exil hypothétique comme le veut l’y contraindre sournoisement le pouvoir en place.

La pacification du pays doit être une priorité absolue. Elle est le gage d’un développement durable et harmonieux, la condition sine qua none de la réussite de tout projet de développement qui nécessite d’abord et avant tout l’adhésion des populations concernées. Cette pacification ne pourra hélas se faire qu’à travers de nouvelles règles de cohabitation des communautés mauritaniennes, dans la définition desquelles les Nations Unies et la communauté internationale ont un rôle central et majeur à jouer.

Salutations respectueuses.

Nouakchott, le 30 mai 2017

Lundi 5 Juin 2017
Boolumbal Boolumbal
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