Interview avec Mohamed Ould Maouloud, Président de l’Union des Forces du Progrès (UFP).



Interview avec Mohamed Ould Maouloud, Président de l’Union des Forces du Progrès (UFP).
1- Depuis un certain temps, on assiste à un sursaut de l’opposition, alors qu’elle était restée presque absente de la scène politique, depuis sa défaite aux élections présidentielles. Pourquoi ?

Le résultat de l’élection du 18 juillet dernier a surpris tout le monde, classe politique dans son ensemble, observateurs de tous bords étrangers et nationaux. Tous au regard des indices et tendances électorales et au bouleversement de la configuration politique (l’abandon massif du camp du Général par la plupart des grands électeurs de l’Etat), excluaient une victoire au premier tour de l’un quelconque des trois principaux favoris (Messaoud, Ahmed et Ould Abdel Aziz).

Un deuxième tour s’annonçait sans espoir pour le candidat du camp putschiste. A moins que… la magie ne s’en mêle. Il est d’ailleurs surprenant qu’au moment où tout semblait compromis pour le Général celui-ci et ses proches annonçaient avec assurance, 48 heures à l’avance, le résultat de l’élection. On connait la suite : la magie a fonctionné.



Les candidats de l’opposition ont réclamé une commission d’enquête pour y voire un peu plus clair. Demande immédiatement rejetée : apparemment, côté des vainqueurs, on se préoccupait plus de garder un secret probablement appelé à servir encore que de favoriser le rétablissement de la confiance et de la stabilité dans la scène politique.

L’opposition s’est retrouvée contrainte de choisir entre l’acquis principal de l’Accord de Dakar (la restauration du cadre constitutionnel) et donc la stabilisation du pays et le retour à la case départ, c’est-à-dire à la confrontation antagonique. Elle a choisi l’intérêt du pays et accepté le sacrifice d’inscrire son action dans le cadre de la nouvelle légalité imposée, sans renoncer, pour une restauration de la démocratie, à contester la validité du système électoral existant. Une révision de la stratégie devenait nécessaire.

Mis à part, les mois d’hivernage et de Ramadan, consacrés à un repos bien mérité pour ceux qui ont lutté dix mois durant et sans répit pour faire échec au coup d’Etat et imposé la retour à l’ordre constitutionnel, la dernière période fut globalement très positive pour l’opposition.

Nous nous sommes donné une nouvelle stratégie, nous avons réussi à créer un front plus large encore, la Coordination de l’Opposition Démocratique, et le cours des événements confirme que de l’autre côté, il n’y a pas de vraie politique de réforme ou de lutte contre la gabegie, mais un énorme marché de dupes aux finalités réelles non avouées.

Le mauritanien moyen commence à s’apercevoir qu’on a sacrifié un régime démocratique de liberté, de primauté du droit aux mirages d’une lutte contre la corruption et d’une juste répartition des richesses bien improbables, rien qu’à observer l’entourage du Général, anciens premiers ministres et hommes d’affaires qui ont tous goûté aux délices de la « gabegie » des régimes antérieurs.

Rien qu’à constater, dans toutes les affaires en instruction actuellement, toute la peine que se donne le pouvoir, et les tours de passe-passe pour soustraire d’embarras les siens, impliqués par inadvertance dans le traitement des dossiers.

2- Actuellement, l’actualité qui défraie la chronique, c’est l’arrestation de trois hommes d’affaires, dans le cadre de l’affaire dite la Banque Centrale de Mauritanie. L’opposition a pris le parti de ces hommes d’affaires, en estimant qu’elle procède du règlement de comptes politiques. Ne craignez-vous pas que cette position mal comprise ? Et que pensez vous de la lutte contre la gabegie menée par le pouvoir ? Quelle est la meilleure façon de lutte contre ce fléau ?

Il y a la mode et il y a la volonté politique réelle. Il n’y a pas longtemps, partout en Afrique et dans le tiers-monde, à l’instar des grands maîtres à penser du monde (FMI, BM etc.), on ne parlait plus que de lutte contre la pauvreté, un peu pour se dédouaner des impasses où les ajustements structurels imposés par ces organismes avaient mené la plupart des pays pauvres.

Le nouveau leitmotiv est la bonne gouvernance et lutte contre la corruption. Même dans les conditions de pays en guerre et sous occupation comme l’Afghanistan de Karazai, on se paye le luxe d’en faire le sujet de controverse n°1 ! Autre slogan à la mode : la lutte contre le terrorisme.

Lutte contre la pauvreté, lutte contre la corruption, lutte contre le terrorisme, constituent de nos jours autant de slogans prêts à clamer pour faire illusion et s’attirer le soutien extérieur pour couvrir des entreprises par ailleurs moins avouables. Parlons de la lutte du Général contre la gabegie. Le coup d’Etat du 6 août 2008 a mis un coup d’arrêt à un programme de développement du pays de plusieurs milliards de dollars sur trois ans. Il a tout compromis et pour longtemps. Dans quel but ?

Pour que le Général ne soit pas limogé (raison annoncé dans le communiqué n°1 le 6 août 2008) au plus , pour qu’il dispose du pouvoir. Peut-il y avoir plus grand mépris pour les intérêts supérieurs du pays ? Qu’est-ce la corruption d’un fonctionnaire à côté de cet immense gâchis ? Cela relève de la gabegie macro.

Venons-en à la gestion dans la phase de pouvoir militaire. Vous connaissez les graves accusations, portées à la légère et sans suite, que la Général avait prononcées contre ses compagnons du Conseil Militaire de la période 2005-2007.

Et pourtant durant la période du Haut-Conseil d’Etat, le Général n’a pas non plus donné le bon exemple en matière de transparence. Pourquoi, n’accepte-t-il pas la requête de l’opposition de mise en place d’une Commission parlementaire d’enquête pour vérifier la gestion des ressources publiques dans cette phase d’exception propice à tous les abus.

Un seul exemple illustre l’intérêt d’une telle demande : les 50 millions de dollars acquis par le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi à la veille du coup d’Etat et déposés sur son ordre à la banque centrale pour ne servir qu’aux forces armées et de sécurité, dans un cadre budgétaire clair et donc sous contrôle parlementaire. Que sont-ils devenus ?

Un député a récemment posé la question et le ministre des finances n’a pas pu ou voulu y réponde. Et ce député, en l’occurrence Moustapha Ould Bedredine, a fait remarquer que ledit montant ne figure ni dans les lois rectificatives 2008 et 2009, ni dans le projet de budget 2010. Or il me souvient que dans son discours de Nouadhibou en avril 2008, à la veille de sa démission de la présidence du HCE, le Général Ould Abdel Aziz avait admis que sur environ 13 milliards d’ouguiyas (produit des 50 millions de dollars) plus d’un milliard avait été dépensé par le HCE. Donc en dehors de la loi.

Et qu’appelle-t-on une dépense publique faite en dehors de la loi ? Le HCE doit donc s’expliquer et se justifier de toutes les autres éventuelles dépenses – appelons-les pour le moment- extra-légales. Le Parlement a le droit et le devoir de procéder à un tel contrôle. Ma réponse à votre question est donc claire .

Le pouvoir actuel était là depuis plus d’un an, il doit d’abord lever le doute qui plane sur sa gestion pour légitimement pouvoir prétendre à jouer au justicier aux mains propres. Sinon avoir la modestie et la loyauté envers le pays d’accepter de respecter sa signature en mettant en œuvre le paragraphe 4, alinea7 de l’Accord de Dakar qui avait prévu justement un dialogue inclusif opposition-pouvoir après l’élection présidentielle et portant entre autre sur la question de la gouvernance et donc de la lutte contre la corruption.

Comme d’ailleurs pour le terrorisme, c’est l’ensemble des forces vives du pays qui doivent être mobilisées, à travers une approche consensuelle, pour venir à bout de ce fléau tenace. Et loin de toute instrumentalisation à des fins politiciennes. En bloquant l’application de l’accord de Dakar, le pouvoir actuel empêche objectivement la seule approche efficace pour lutter contre la corruption.

Pire, en pratique, il pervertit un tel slogan, perçu désormais comme un simple prétexte à des règlements de compte, tels ceux auxquels on assiste aujourd’hui, Le dossier de l’affaire dite BCM- hommes d’affaires n’a pas été traité comme une affaire de contentieux commercial, mais converti pour les besoins de la cause en problème pénal pour avoir l’occasion d’utiliser la justice pour jeter en prison et ainsi humilier et nuire à la réputation. L’opposition a juste demandé le respect du droit et de la présomption d’innoncence. L’instrumentalisation politique de la lutte contre la gabegie est d’ailleurs flagrante.

Premièrement, c’est le Général lui-même et non la justice qui, dans des discours public, a proféré le premier les accusations dans les principales affaires portées devant les tribunaux.

Deuxièmement, aucune de ces affaires n’a abouti à un procès équitable ; mais toutes en pratique ont servi à surtout à porter atteinte à la réputation des incriminés et à tenter de leur imposer des marchandages politiques.

Troisièmement, depuis le début de sa campagne en août 2008, et mis à part quelques fonctionnaires sacrifiés récemment pour les besoin de la cause, le Général a pris pour cibles tour à tour ses principaux adversaires politiques. Jugez-en vous-mêmes :

le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi pour le jugement duquel une haute cour de justice a même été mise sur pied ; ensuite le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement renversé (la prétendue affaire Air-Mauritanie) ; et dans ses discours de campagne, désignation par le Général des prochaines victimes de sa « lutte contre la gabegie » : explicitement ses concurrents pour l’élection présidentielle, Ahmed Ould Daddah, Messaoud Ould Boulkheir et dans une allusion très claire Ely Ould Mohamed Vall ; dernier épisode, les hommes d’affaires actuellement détenus, adversaires économiques soupçonnés de tiédeur sinon d’hostilité au coup d’Etat, puis coupables de soutien aux candidats adverses..

Quatrièmement mis à l’écart de la cour des comptes, le seul organisme doté d’un arsenal juridique et de procédures garantissant un certains degré de transparence et d’impartialité. Rien de tout cela ne va dans le bon sens.

La lutte contre la corruption requiert d’abord un climat sain et apaisé et une entente nationale sur l’approche à mettre en œuvre. Ensuite un traitement différencié pour des raisons d’opportunité et d’efficacité entre les dossiers relevant de la longue période d’un système politique considéré comme révolu et les dossiers du présent. Enfin des mécanismes et une procédure appliquées indistinctement à tous

3- Cela fait presque 5 mois que les élections présidentielles du 18 juillet sont passées On ne voit pas une amorce de dialogue entre le pouvoir et l’opposition. Pouvez-vous expliquer les raisons du blocage ?

Comme il est mentionné plus haut, la question a été en principe réglée par les Accords de Dakar. Dans le souci de créer un climat postélectoral de réconciliation et de confiance après quatre années d’élections et d’instabilité.



4- Trois humanitaires espagnols et un couple d’italiens, ont été enlevés récemment par le mouvement terroriste AQMI, alors que le régime avait affirmé que la situation sécuritaire est sous contrôle. Pour se justifier, l’actuel Chef de l’Etat a mis en avant les errements en la matière des précédents régimes. Quelle est votre opinion ?


La justification est mauvaise et en même temps classique. C’est toujours la faute aux autres. Mais en l’occurrence, tout le monde sait, que le Président Sidi, dès son investiture en mai 2007, a donné carte blanche à Ould Abdel Aziz, à l’époque colonel pour gérer tout le domaine de la sécurité et de la défense.

Avec les moyens nécessaires. L’échec est son échec, sinon, circonstance atténuante s’il en est, l’échec d’un système de pouvoir où l’implication dans la politique détourne les chefs des organes de défense et de sécurité de leur mission essentielle. En tout cas, chez l’opposition, notre condamnation est sans appel pour le rapt de nos hôtes étrangers et pour toute action terroriste.

Le phénomène nous inquiète au plus haut point et s’il n’est pas contenu à temps risque de menacer dangereusement la stabilité et la paix dans notre pays. On ne peut y faire face cependant, par la seule approche sécuritaire. La prise en compte des dimensions culturelles, sociales, politiques est indispensable. Comme il est indispensable de ne pas donner d’alibi à l’extrémisme en impliquant sur le terrain les puissances étrangères. Les Mauritaniens et les pays de notre sous-région sont en mesure d’y faire face par eux-mêmes sur le terrain.

Mis à part cette réserve, l’aide de tous les amis est la bienvenue. Ils n’ont smplement pas à gèrer la question à notre place et à donner l’impression d’un rétablissement de rapports néocoloniaux. En outre, à l’intérieur du pays, la question doit transcender les clivages politiques et requiert l’engagement de tous dans une approche consensuelle.

On devra également veiller à éviter d’installer notre pays dans une atmosphère d’exception, propice à toutes les dérives et bavures policières. Le projet de loi contre le terrorisme actuellement au parlement, de ce point de vue est visiblement inspiré de l’extérieur. Il risque d’aggraver le mal, plutôt que d’y remédier, et de favoriser non pas la lutte contre le terrorisme, mais d’installation d’un régime de terreur.

Il sera surtout efficace pour étouffer les libertés démocratiques et réduire au silence les opposants. Le cas du journaliste Hanefi est édifiant sur l’usage que fait le pouvoir des lois pénales. Accusé pour une affaire de diffamation, qui a fait long feu, et condamné pour autre chose (un article jugé indécent !) à six mois de prison ferme !

C’est pourquoi nos députés ont voté contre cette loi liberticicide, qui risque de couvrir une dérive despotique déjà en vitesse de croisière. D’autant plus qu’une loi anti-terroriste existait déjà et personne n’a mis en lumière en quoi elle est défaillante. Les jeunes emportés par le courant extrémiste, doivent bénéficier des droits humains, et ce n’est pas l’excès de sévérité à leur endroit qui va régler le problème.

La violence aveugle de groupe terroriste aura atteint son objectif si notre pays sombrait dans le terrorisme d’Etat. Il s’agit plutôt de défendre la république par le droit et une politique sécuritaire mesurée mais efficace, comme la France et l’Espagne l’appliquent en Corse et en pays basque. C’est une telle approche qui rendra possible l’essentiel : soustraire nos jeunes à l’influence négative de l’extrémisme religieux par un travail de dialogue et de persuasion.

5- Pendant le vote du projet de budget 2010, certains de vos partenaires de l’opposition ont choisi l’abstention. En plus, un député d’Adil est allé même jusqu’à en émettre une bonne appréciation. Comment l’expliquez-vous ? En outre l’opinion doute que l’opposition ait tiré les leçons de ses erreurs passées, tout en étant encore plus sceptique sur la durée de vie de la Coordination de l’opposition démocratique, récemment créée. En tant que président en exercice de celle-ci, pouvez-vous donner des gages qu’elle travaillera dans l’unité ?


Plus exactement, les amis de la COD, m’ont fait l’honneur de conduire à bon port la phase constitutive et de jouer donc le rôle de coordinateur jusqu’à la mise en place du nouveau système de direction. Dans les prochains jours ma mission prendra fin avec la désignation d’un président en exercice pour une période de deux mois. Mais depuis que nous avons décidé de travailler ensemble, les partis du FNDD, le RFD et l’alliance RPM-Bedil, notre confiance mutuelle s’est renforcée et en moins d’un mois nous sommes arrivés à reprendre la place qui est la nôtre dans la rue comme au Parlement.

Le Pouvoir est au pied du mur, il doit choisir entre la fuite en avant ou développer un partenariat positif avec l’opposition. C’est une raison de plus pour que l’unité de celle-ci se renforce. Mais il faut y ajouter une autre : notre inquiétude de voir le Général susciter les tensions internes et en même temps donner à penser qu’il envisage de faire sortir notre pays de la neutralité dans le conflit du Sahara. Comme pour en finir avec la Mauritanie.

L ’opposition, face à ses dérives et aux autres défis multiples s’élargira davantage et renforcera son unité. Et continuera à être disponible pour le dialogue et l’avènement d’un climat politique apaisé.






Source: Union des Forces du progrès

Mercredi 13 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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