
Youssouf Sylla à La Tribune : « Grâce au courage du FNDD et de l’opposition en général, Mohamed Ould Abdel Aziz peut dormir tranquillement à l’abri de toute menace de coup d’état.. »
La Tribune : Vous aviez été parmi les premiers à contester le coup d’Etat d’août 2008. Après onze mois de crise politique ; l’auteur de ce coup d’Etat a réussi à se faire élire président des la République. Quelle impression cela vous fait, vous qui avez été directeur de campagne du candidat du FNDD à Mbout ?
Youssouf Sylla : Je tiens à souligner qu’on ne peut pas être élu démocratiquement et en même temps accepter un coup d’état. Donc j’ai été le premier à dire non au coup d’état. J’ai travaillé mains et pieds avec mes camarades du FNDD pour faire échouer le coup d’état. L’opinion internationale s’est mobilisée avec nous pour faire échouer ce coup d’état. Il a échoué. Le Haut conseil a perdu ses pleins pouvoirs. Le 6/6 a été rejeté. Et nous avons, d’un commun accord, abouti à un accord à Dakar. Qu’il soit bon ou mauvais, à mon avis, il faut savoir toujours s’assumer et en assumer l’issue. Aussi bien nous avons contesté le coup d’état en son temps, aujourd’hui, que nous avons accepté un accord, on doit avoir le courage politique aussi de dire que, malgré tout ce qu’il a eu, Mohamed Ould Abdel Aziz a quand même fait une campagne durant presque une année. Il a fait plusieurs campagnes. Il a fait la première tout seul, avec les moyens de l’Etat et tout ça. Ensuite, il a préparé le 6/6….
La Tribune : Vous venez de dire qu’il faut avoir le courage de s’assumer. Est-ce cela signifie pour vous qu’il faut accepter le verdict des urnes qui donne l’ex chef de la junte putschiste vainqueur?
Youssouf Sylla : Ce n’est pas à nous d’accepter le verdict des urnes. C’est plutôt au Conseil constitutionnel de confirmer les résultats et il l’a fait. Donc nous, étant dans un Etat de droit, nous ne pouvons réellement que prendre note de la reconnaissance faite par le Conseil constitutionnel.
La Tribune : En disant «nous», est-ce que vous en tant que le sénateur Youssef Sylla ou vous parlez au nom du Front ?
Youssouf Sylla : Non, moi je parle à mon nom. Je ne suis pas mandaté par le Front pour parler au nom du Front. Et je crois qu’ils ont fait une déclaration dans laquelle ils ont dit leur point de vue. Ce que je suis en train de dire c’est plutôt des points de vue tout à fait personnels.
A mon avis, Mohamed Ould Abdelaziz a joué le jeu. Il a fait des élections. A tort ou à raison, les urnes lui ont donné ce qu’elles lui ont donné. Ce que le Conseil constitutionnel a reconnu. Ce que je peux dire c’est qu’au niveau de M’bout, où j’étais, je suis sûr qu’il n’y a pas eu de fraude au niveau des bureaux. Les bureaux de vote ont ouvert à l’heure. Les gens ont voté librement. Ce qu’on peut dire des militaires, seul Dieu le sait. Pour la plupart des gens, j’ai appris qu’ils n’ont pas accepté de mettre leurs doigts dans l’ancre indélébile. Ils ont pris énormément de moyens dont nous ne disposons pas. Ils avaient plein de voitures, plein d’argent, ils ont fait une campagne vraiment à l’américaine. Alors que nous, nous n’avions absolument rien du tout. Les résultats que nous avons obtenus, c’est vraiment les résultats d’une campagne de pauvres, disons. Nous avons obtenu 5076 voix pour le département de M’bout, contre 8056 pour le général. Je crois que c’est un bon résultat pour nous, vu que le général avait avec lui toute la classe politique, tous les chefs des tribus. Il avait le ministre Sy Adama qui était avec lui, ainsi que le député et son suppléant, mon suppléant, huit maires sur neuf, en plus des conseillers. Ça veut dire quoi ? Réellement, toute la classe politique, apparemment, était avec le général Aziz, et les résultats étaient sincèrement très acceptables.
La Tribune : Est-ce que vous pensez alors qu’Ould Abdel Aziz a été déloyal à votre égard, vous autres de l’opposition ?
Youssouf Sylla : Je ne le pense pas. J’en suis certain. Parce qu’Aziz avait les moyens de l’Etat. Par exemple, il a démissionné, il est venu à M’bout, on lui a dit qu’il y a un problème d’ambulance, il a pris son téléphone et le lendemain l’ambulance est venu. J’ai appris aussi que les gens de Foum Legleïtta lui ont dit qu’ils ont un problème de citernes, il a pris son téléphone et la citerne est venue. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il a quitté le pouvoir sans le quitter. Il donnait encore des ordres et ça c’est clair. Seulement si ce n’était que ça, cela prouve qu’on n’était pas à armes égales. Au niveau de Moyit,, un fonctionnaire est venu et a donné aux gens 19 km de grillage à quelques jours du scrutin pour les faire voter pour le général. Ces choses là, il faut les prendre en considération et savoir qu’on a fait des élections sans être à armes légales, ni dans le temps ni dans les moyens, ni dans les comportements. Lui, il avait l’Etat et il faisait croire aux gens qu’il était encore le chef de l’Etat.
La Tribune : Au-delà de la contestation, pensez-vous qu’Ould Abdel Aziz aura la capacité de diriger our les cinq ans à venir le pays sans problèmes ?
Youssouf Sylla : Ecoutez. Il y a contestations de fait. Mais, quand on conteste, on doit se baser sur des preuves. Et même si on a des preuves de fraude qu’on fait savoir au Conseil constitutionnel qui ne les prend pas en considération, qu’est-ce que cela va donner ? Rien du tout ! Je crois qu’il y a en fait cette tradition selon laquelle quand il y a élection en Afrique, d’habitude elles sont acceptées et non contestées. Les occidentaux, quant à eux, prennent en compte la forme: quand il y a un putsch, ils vous appuient, mais quand il y a aussi des choses auxquelles ils peuvent porter un crédit, ils le font le plus souvent. Pour eux, il faut éviter aux pays en développement les problèmes et les périodes de troubles. Aujourd’hui, nous sommes devant une situation de faits: le monsieur est là, il a obtenu 52%.
La Tribune : Vous acceptez le fait accompli ?
Youssouf Sylla : Si on ne l’accepte pas, qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on propose, en ne l’acceptant pas? Je veux bien qu’il y ait des choses qu’on peut évoquer. Mais, réellement, si on n’a pas de preuves, on peut dire qu’on a pris note. Comme l’a dit le Front. Quand on n’a pas de preuves concrètes qu’on peut avancer, c’est très complexe.
Maintenant, tout dépend du général Aziz. S’il veut que ça marche et que le pays s’apaise, il a tous les moyens pour le faire: Il appelle les gens de l’opposition, il parle avec eux, il s’entend avec eux, il trouve avec eux un terrain d’entente qui permet à tout les monde de sauver la face et commencer à travailler ensemble pour la construction du pays. Il y a certaines sorties qu’il faisait contre la gabegie, contre ceci contre cela, je crois qu’il faut oublier ça ; parce que personne n’est très très propre.
La Tribune : Que peut bien faire le président élu face à une opposition qui pourrait se radicaliser davantage si elle n’arrive pas à arracher ne serait-ce qu’un pan de compromis au pouvoir ?
Youssouf Sylla : Moi, je pense que si jamais il arrive à convaincre l’opposition et à trouver un terrain d’entente avec elle, il pourra gérer le pays convenablement. Mais, cela suppose qu’il accepte de faire des concessions à l’opposition, et je sais que dans son entourage, parce que je le connaît bien, il y a beaucoup de gens qui vont lui dire non, la démocratie a besoin d’avoir une opposition ; nous, nous avons gagné, eux ils ont perdu, ils doivent vivre leur opposition et nous nous avons gagné le pouvoir. Mais, ce n’est pas de l’intérêt de
la Mauritanie. C’est peut-être l’intérêt de ceux qui lui feront la proposition. Pour l’intérêt de
la Mauritanie: s’il cherche à gouverner correctement
la Mauritanie, il doit tendre la main à l’opposition.
La Tribune : Mais, quel genre de concessions l’opposition veut-elle ?
Youssouf Sylla : Je ne suis pas dirigeant du FNDD ni du RFD, mais je pense que personne n’est aujourd’hui prêt à ce que
la Mauritanie sombre. Nous avons tous intérêt à travailler pour que
la Mauritanie puisse dépasser les problèmes qu’elle a, aussi bien à l’opposition qu’au pouvoir. Dans ce sens, je pense que si jamais il arrive à s’entendre avec Messaud Ould Boulkheïr et Ahmed Ould Daddah, il pourra gouverner convenablement. Je ne sais pas ce qu’ils vont lui demander, mais nous ne lui demanderons pas de quitter le pouvoir. Il vaut mieux lui demander de faire des concessions qui leur permettront aussi de participer à la gestion du pays….
La Tribune : Pour l’instant, l’opposition conteste à Ould Abdel Aziz une légitimité. Elle essaie de démontrer qu’il a fraudé pour être au pouvoir. Croyez-vous alors que le président élu pourrait avoir comme réflexe de dissoudre l’Assemblée Nationale ne serait-ce que pour bouleverser sa structure actuelle avec Messaoud Ould Boulkheir président et Ahmed Ould Daddah, chef de file de l’opposition parce son parti y est plus représenté ?
Youssouf Sylla : Mais, s’il le fait c’est à son détriment. Parce que la majorité des députés le soutient. Je ne pense pas qu’il va aller de ce côté. Je pense qu’il n’est plus facile à un pays comme le nôtre, qui a des problèmes financiers, déjà saignant, d’organiser d’autres élections en ces moments où on n’a pas un rond. Je crois qu’il est plus politique, plus patriotique je dirai, de chercher un terrain d’entente avec l’opposition. Et ce que je conseille, je le conseille sincèrement aussi bien à Aziz qu’à l’opposition, je leur conseille de s’entendre. Parce que le peuple mauritanien n’acceptera jamais que
la Mauritanie s’ombre. Dans la déclaration qu’ils ont faite, ils ont dit que la balle est dans le camp d’Aziz ; c’est à Aziz de faire un pas vers l’opposition, parce que c’est lui qui a gagné les élections avec 52%. Il doit se dire, moi j’ai gagné les élections, maintenant je gouverne mon pays, et pour gérer mon pays j’ai besoin de la participation de tout le monde ; c’est ça la sagesse. Je crois que les gens l’ont entendu dire à la télévision qu’il est le président de tous les mauritaniens. Donc dire qu’on est président de tous les mauritaniens, il faut le matérialiser: il faut cesser les poursuites contre les gens, parce que c’est de la chasse aux sorcières, il faut libérer les prisonniers tels que Hanavy, le journaliste qui est en prison sans que l’on sache réellement pourquoi, il faut arrêter d’intimider les gens, il faut chercher à apaiser et à être au-dessus de tout ça.
La Tribune : Est-ce qu’on pourrait s’attendre que le sénateur Youssouf Sylla soit invité à travailler dans le camp du pouvoir, par exemple en intégrant le parti du Président ?
Youssouf Sylla : Moi, je suis du FNDD avec lequel je travaille, mais je peux dire que je suis parmi les gens les plus modérés du FNDD. J’aimais la Mauritanie, avant le FNDD et avant Ould Abdelaziz. Nous avons besoin de nous entendre pour construire notre pays. Ce n’est pas en nous radicalisant que nous arriverons à ça. Moi, on m’a invité plusieurs fois pour voir Ould Abdelaziz quand il était putschiste et j’ai dit non. Par contre, s’il m’appelle aujourd’hui en tant que président de
la République, je dirai oui. Je ne travaillerai pas avec lui en tant que militant de son parti, puisque je suis APP, je suis avec Mesaoud Ould Boulkheïr. Je travaillerai avec lui dans le cadre de mon parti. Mais si j’estime que mon parti prend des positions qui ne sont pas les bonnes, j’aurais bien le courage politique de le dire comme j’ai dit non au coup d’état. Il ne s’agit pas de moi, mais de nous tous et de l’avenir de notre pays. Je ne cherche pas de place ni de facilités avec Ould Abdelaziz, je n’ai absolument rien à lui demander. Ce que je demande c’est que nous puissions tous ensemble construire notre pays et lui éviter des problèmes inutiles.
Je demande à tous d’essayer de se trouver en tant que fils de cette patrie et de travailler ensemble pour sortir le pays de cette impasse. Je crois que nous avons tous gagné. Je pense qu’il n’y aura plus de coup d’état en Mauritanie. Grâce au courage du FNDD et de l’opposition en général, Mohamed Ould Abdel Aziz peut dormir tranquillement à l’abri de toute menace de coup d’état. Et ça c’est une victoire et un réconfort.
La Tribune : N’avez-vous pas le sentiment qu’Ahmed Ould Daddah a joué un rôle dans cette dynamique de défense de la démocratie à laquelle vous faites allusion ?
Youssouf Sylla : Je pense qu’Ahmed Ould Daddah a joué deux rôles. Le premier était pour consolider, réconforter et chercher à légitimer le coup d’état et ce n’était pas bien pour un leader politique reconnu internationalement comme étant un démocrate tel qu’Ahmed Ould Daddah. Un bon démocrate ne trouve pas d’arguments valables qui peuvent justifier ou soutenir un coup d’état. Le deuxième rôle d’Ahmed Ould Daddah c’est qu’il a rejoint l’opposition au coup d’état, c’était un acte très bien et courageux pour lequel on doit, et tous les mauritaniens doivent, le remercier. Il était très difficile pour lui de faire marche arrière, surtout qu’il a perdu beaucoup d’éléments de son parti qui sont partis avec le général, quand, lui, il était revenu. Donc, Ahmed a joué deux rôles: l’un est très négatif et l’autre est très positif.
Pour moi, en démocratie, on ne peut pas accepter un coup d’état. Si on fait aujourd’hui un coup d’état contre Aziz, on va se mobiliser contre le coup d’état. Et je crois que s’il y aura un coup d’état au Sénégal ou au Mali, le premier que la première personne qui va se positionner contre ce coup d’état va être le général Mohamed Ould Abdelaziz. Parce qu’il vient d’être élu et en démocratie on ne peut pas accepter des coups d’état. On doit, tous, avoir cette culture de dire non aux coups d’état. On doit dire à nos militaires qu’ils doivent faire leur travail et laisser les hommes politiques faire leur travail. Si l’un d’entre eux a envie de se présenter comme politique, qu’il démissionne, qu’il se présente aux mauritaniens et s’il gagne les élections c’est tant mieux.
Entretien conduit par Kissima
Source : La Tribune n°462
La Tribune : Vous aviez été parmi les premiers à contester le coup d’Etat d’août 2008. Après onze mois de crise politique ; l’auteur de ce coup d’Etat a réussi à se faire élire président des la République. Quelle impression cela vous fait, vous qui avez été directeur de campagne du candidat du FNDD à Mbout ?
Youssouf Sylla : Je tiens à souligner qu’on ne peut pas être élu démocratiquement et en même temps accepter un coup d’état. Donc j’ai été le premier à dire non au coup d’état. J’ai travaillé mains et pieds avec mes camarades du FNDD pour faire échouer le coup d’état. L’opinion internationale s’est mobilisée avec nous pour faire échouer ce coup d’état. Il a échoué. Le Haut conseil a perdu ses pleins pouvoirs. Le 6/6 a été rejeté. Et nous avons, d’un commun accord, abouti à un accord à Dakar. Qu’il soit bon ou mauvais, à mon avis, il faut savoir toujours s’assumer et en assumer l’issue. Aussi bien nous avons contesté le coup d’état en son temps, aujourd’hui, que nous avons accepté un accord, on doit avoir le courage politique aussi de dire que, malgré tout ce qu’il a eu, Mohamed Ould Abdel Aziz a quand même fait une campagne durant presque une année. Il a fait plusieurs campagnes. Il a fait la première tout seul, avec les moyens de l’Etat et tout ça. Ensuite, il a préparé le 6/6….
La Tribune : Vous venez de dire qu’il faut avoir le courage de s’assumer. Est-ce cela signifie pour vous qu’il faut accepter le verdict des urnes qui donne l’ex chef de la junte putschiste vainqueur?
Youssouf Sylla : Ce n’est pas à nous d’accepter le verdict des urnes. C’est plutôt au Conseil constitutionnel de confirmer les résultats et il l’a fait. Donc nous, étant dans un Etat de droit, nous ne pouvons réellement que prendre note de la reconnaissance faite par le Conseil constitutionnel.
La Tribune : En disant «nous», est-ce que vous en tant que le sénateur Youssef Sylla ou vous parlez au nom du Front ?
Youssouf Sylla : Non, moi je parle à mon nom. Je ne suis pas mandaté par le Front pour parler au nom du Front. Et je crois qu’ils ont fait une déclaration dans laquelle ils ont dit leur point de vue. Ce que je suis en train de dire c’est plutôt des points de vue tout à fait personnels.
A mon avis, Mohamed Ould Abdelaziz a joué le jeu. Il a fait des élections. A tort ou à raison, les urnes lui ont donné ce qu’elles lui ont donné. Ce que le Conseil constitutionnel a reconnu. Ce que je peux dire c’est qu’au niveau de M’bout, où j’étais, je suis sûr qu’il n’y a pas eu de fraude au niveau des bureaux. Les bureaux de vote ont ouvert à l’heure. Les gens ont voté librement. Ce qu’on peut dire des militaires, seul Dieu le sait. Pour la plupart des gens, j’ai appris qu’ils n’ont pas accepté de mettre leurs doigts dans l’ancre indélébile. Ils ont pris énormément de moyens dont nous ne disposons pas. Ils avaient plein de voitures, plein d’argent, ils ont fait une campagne vraiment à l’américaine. Alors que nous, nous n’avions absolument rien du tout. Les résultats que nous avons obtenus, c’est vraiment les résultats d’une campagne de pauvres, disons. Nous avons obtenu 5076 voix pour le département de M’bout, contre 8056 pour le général. Je crois que c’est un bon résultat pour nous, vu que le général avait avec lui toute la classe politique, tous les chefs des tribus. Il avait le ministre Sy Adama qui était avec lui, ainsi que le député et son suppléant, mon suppléant, huit maires sur neuf, en plus des conseillers. Ça veut dire quoi ? Réellement, toute la classe politique, apparemment, était avec le général Aziz, et les résultats étaient sincèrement très acceptables.
La Tribune : Est-ce que vous pensez alors qu’Ould Abdel Aziz a été déloyal à votre égard, vous autres de l’opposition ?
Youssouf Sylla : Je ne le pense pas. J’en suis certain. Parce qu’Aziz avait les moyens de l’Etat. Par exemple, il a démissionné, il est venu à M’bout, on lui a dit qu’il y a un problème d’ambulance, il a pris son téléphone et le lendemain l’ambulance est venu. J’ai appris aussi que les gens de Foum Legleïtta lui ont dit qu’ils ont un problème de citernes, il a pris son téléphone et la citerne est venue. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’il a quitté le pouvoir sans le quitter. Il donnait encore des ordres et ça c’est clair. Seulement si ce n’était que ça, cela prouve qu’on n’était pas à armes égales. Au niveau de Moyit,, un fonctionnaire est venu et a donné aux gens 19 km de grillage à quelques jours du scrutin pour les faire voter pour le général. Ces choses là, il faut les prendre en considération et savoir qu’on a fait des élections sans être à armes légales, ni dans le temps ni dans les moyens, ni dans les comportements. Lui, il avait l’Etat et il faisait croire aux gens qu’il était encore le chef de l’Etat.
La Tribune : Au-delà de la contestation, pensez-vous qu’Ould Abdel Aziz aura la capacité de diriger our les cinq ans à venir le pays sans problèmes ?
Youssouf Sylla : Ecoutez. Il y a contestations de fait. Mais, quand on conteste, on doit se baser sur des preuves. Et même si on a des preuves de fraude qu’on fait savoir au Conseil constitutionnel qui ne les prend pas en considération, qu’est-ce que cela va donner ? Rien du tout ! Je crois qu’il y a en fait cette tradition selon laquelle quand il y a élection en Afrique, d’habitude elles sont acceptées et non contestées. Les occidentaux, quant à eux, prennent en compte la forme: quand il y a un putsch, ils vous appuient, mais quand il y a aussi des choses auxquelles ils peuvent porter un crédit, ils le font le plus souvent. Pour eux, il faut éviter aux pays en développement les problèmes et les périodes de troubles. Aujourd’hui, nous sommes devant une situation de faits: le monsieur est là, il a obtenu 52%.
La Tribune : Vous acceptez le fait accompli ?
Youssouf Sylla : Si on ne l’accepte pas, qu’est-ce qu’on va faire ? Qu’est-ce qu’on propose, en ne l’acceptant pas? Je veux bien qu’il y ait des choses qu’on peut évoquer. Mais, réellement, si on n’a pas de preuves, on peut dire qu’on a pris note. Comme l’a dit le Front. Quand on n’a pas de preuves concrètes qu’on peut avancer, c’est très complexe.
Maintenant, tout dépend du général Aziz. S’il veut que ça marche et que le pays s’apaise, il a tous les moyens pour le faire: Il appelle les gens de l’opposition, il parle avec eux, il s’entend avec eux, il trouve avec eux un terrain d’entente qui permet à tout les monde de sauver la face et commencer à travailler ensemble pour la construction du pays. Il y a certaines sorties qu’il faisait contre la gabegie, contre ceci contre cela, je crois qu’il faut oublier ça ; parce que personne n’est très très propre.
La Tribune : Que peut bien faire le président élu face à une opposition qui pourrait se radicaliser davantage si elle n’arrive pas à arracher ne serait-ce qu’un pan de compromis au pouvoir ?
Youssouf Sylla : Moi, je pense que si jamais il arrive à convaincre l’opposition et à trouver un terrain d’entente avec elle, il pourra gérer le pays convenablement. Mais, cela suppose qu’il accepte de faire des concessions à l’opposition, et je sais que dans son entourage, parce que je le connaît bien, il y a beaucoup de gens qui vont lui dire non, la démocratie a besoin d’avoir une opposition ; nous, nous avons gagné, eux ils ont perdu, ils doivent vivre leur opposition et nous nous avons gagné le pouvoir. Mais, ce n’est pas de l’intérêt de
la Mauritanie. C’est peut-être l’intérêt de ceux qui lui feront la proposition. Pour l’intérêt de
la Mauritanie: s’il cherche à gouverner correctement
la Mauritanie, il doit tendre la main à l’opposition.
La Tribune : Mais, quel genre de concessions l’opposition veut-elle ?
Youssouf Sylla : Je ne suis pas dirigeant du FNDD ni du RFD, mais je pense que personne n’est aujourd’hui prêt à ce que
la Mauritanie sombre. Nous avons tous intérêt à travailler pour que
la Mauritanie puisse dépasser les problèmes qu’elle a, aussi bien à l’opposition qu’au pouvoir. Dans ce sens, je pense que si jamais il arrive à s’entendre avec Messaud Ould Boulkheïr et Ahmed Ould Daddah, il pourra gouverner convenablement. Je ne sais pas ce qu’ils vont lui demander, mais nous ne lui demanderons pas de quitter le pouvoir. Il vaut mieux lui demander de faire des concessions qui leur permettront aussi de participer à la gestion du pays….
La Tribune : Pour l’instant, l’opposition conteste à Ould Abdel Aziz une légitimité. Elle essaie de démontrer qu’il a fraudé pour être au pouvoir. Croyez-vous alors que le président élu pourrait avoir comme réflexe de dissoudre l’Assemblée Nationale ne serait-ce que pour bouleverser sa structure actuelle avec Messaoud Ould Boulkheir président et Ahmed Ould Daddah, chef de file de l’opposition parce son parti y est plus représenté ?
Youssouf Sylla : Mais, s’il le fait c’est à son détriment. Parce que la majorité des députés le soutient. Je ne pense pas qu’il va aller de ce côté. Je pense qu’il n’est plus facile à un pays comme le nôtre, qui a des problèmes financiers, déjà saignant, d’organiser d’autres élections en ces moments où on n’a pas un rond. Je crois qu’il est plus politique, plus patriotique je dirai, de chercher un terrain d’entente avec l’opposition. Et ce que je conseille, je le conseille sincèrement aussi bien à Aziz qu’à l’opposition, je leur conseille de s’entendre. Parce que le peuple mauritanien n’acceptera jamais que
la Mauritanie s’ombre. Dans la déclaration qu’ils ont faite, ils ont dit que la balle est dans le camp d’Aziz ; c’est à Aziz de faire un pas vers l’opposition, parce que c’est lui qui a gagné les élections avec 52%. Il doit se dire, moi j’ai gagné les élections, maintenant je gouverne mon pays, et pour gérer mon pays j’ai besoin de la participation de tout le monde ; c’est ça la sagesse. Je crois que les gens l’ont entendu dire à la télévision qu’il est le président de tous les mauritaniens. Donc dire qu’on est président de tous les mauritaniens, il faut le matérialiser: il faut cesser les poursuites contre les gens, parce que c’est de la chasse aux sorcières, il faut libérer les prisonniers tels que Hanavy, le journaliste qui est en prison sans que l’on sache réellement pourquoi, il faut arrêter d’intimider les gens, il faut chercher à apaiser et à être au-dessus de tout ça.
La Tribune : Est-ce qu’on pourrait s’attendre que le sénateur Youssouf Sylla soit invité à travailler dans le camp du pouvoir, par exemple en intégrant le parti du Président ?
Youssouf Sylla : Moi, je suis du FNDD avec lequel je travaille, mais je peux dire que je suis parmi les gens les plus modérés du FNDD. J’aimais la Mauritanie, avant le FNDD et avant Ould Abdelaziz. Nous avons besoin de nous entendre pour construire notre pays. Ce n’est pas en nous radicalisant que nous arriverons à ça. Moi, on m’a invité plusieurs fois pour voir Ould Abdelaziz quand il était putschiste et j’ai dit non. Par contre, s’il m’appelle aujourd’hui en tant que président de
la République, je dirai oui. Je ne travaillerai pas avec lui en tant que militant de son parti, puisque je suis APP, je suis avec Mesaoud Ould Boulkheïr. Je travaillerai avec lui dans le cadre de mon parti. Mais si j’estime que mon parti prend des positions qui ne sont pas les bonnes, j’aurais bien le courage politique de le dire comme j’ai dit non au coup d’état. Il ne s’agit pas de moi, mais de nous tous et de l’avenir de notre pays. Je ne cherche pas de place ni de facilités avec Ould Abdelaziz, je n’ai absolument rien à lui demander. Ce que je demande c’est que nous puissions tous ensemble construire notre pays et lui éviter des problèmes inutiles.
Je demande à tous d’essayer de se trouver en tant que fils de cette patrie et de travailler ensemble pour sortir le pays de cette impasse. Je crois que nous avons tous gagné. Je pense qu’il n’y aura plus de coup d’état en Mauritanie. Grâce au courage du FNDD et de l’opposition en général, Mohamed Ould Abdel Aziz peut dormir tranquillement à l’abri de toute menace de coup d’état. Et ça c’est une victoire et un réconfort.
La Tribune : N’avez-vous pas le sentiment qu’Ahmed Ould Daddah a joué un rôle dans cette dynamique de défense de la démocratie à laquelle vous faites allusion ?
Youssouf Sylla : Je pense qu’Ahmed Ould Daddah a joué deux rôles. Le premier était pour consolider, réconforter et chercher à légitimer le coup d’état et ce n’était pas bien pour un leader politique reconnu internationalement comme étant un démocrate tel qu’Ahmed Ould Daddah. Un bon démocrate ne trouve pas d’arguments valables qui peuvent justifier ou soutenir un coup d’état. Le deuxième rôle d’Ahmed Ould Daddah c’est qu’il a rejoint l’opposition au coup d’état, c’était un acte très bien et courageux pour lequel on doit, et tous les mauritaniens doivent, le remercier. Il était très difficile pour lui de faire marche arrière, surtout qu’il a perdu beaucoup d’éléments de son parti qui sont partis avec le général, quand, lui, il était revenu. Donc, Ahmed a joué deux rôles: l’un est très négatif et l’autre est très positif.
Pour moi, en démocratie, on ne peut pas accepter un coup d’état. Si on fait aujourd’hui un coup d’état contre Aziz, on va se mobiliser contre le coup d’état. Et je crois que s’il y aura un coup d’état au Sénégal ou au Mali, le premier que la première personne qui va se positionner contre ce coup d’état va être le général Mohamed Ould Abdelaziz. Parce qu’il vient d’être élu et en démocratie on ne peut pas accepter des coups d’état. On doit, tous, avoir cette culture de dire non aux coups d’état. On doit dire à nos militaires qu’ils doivent faire leur travail et laisser les hommes politiques faire leur travail. Si l’un d’entre eux a envie de se présenter comme politique, qu’il démissionne, qu’il se présente aux mauritaniens et s’il gagne les élections c’est tant mieux.
Entretien conduit par Kissima
Source : La Tribune n°462