Gouvernement Ould Mohamed Laghdaf III :Quatre mois après, qui tient la route ?



Gouvernement Ould Mohamed Laghdaf III :Quatre mois après, qui tient la route ?
Quand il a été nommé, nous lui avons trouvé quelques qualités : le troisième gouvernement de Ould Mohamed Laghdaf promettait.

La Mauritanie avait besoin de se remettre au travail. Elle avait soif d’une trêve de politique. Elle demandait une gestion différente.

Nous avons choisi de ne pas aller au-delà de l’équipe gouvernementale de Ould Mohamed Laghdaf pour faire cet espèce de bilan qui n’en est pas. En suivant l’ordre de préséance prévu par le protocole mauritanien.
Quatre mois après, où en est-on ?

Au lendemain de l’investiture du président élu Mohamed Ould Abdel Aziz, l’heure était à l’attente. Qui va-t-il choisir comme Premier ministre ? Un gouvernement d’union nationale était exclu parce que rien n’y poussait : l’opposition ne reconnaissait pas les résultats de l’élection du 18 juillet et la crise politique semblait appartenir au passé.
C’est Dr Moulaye Ould Mohamed Laghdaf qui est choisi pour diriger une nouvelle fois une équipe gouvernementale dont la mission première était de sortir le pays de l’esprit et de l’état d’exception. Pourquoi le choix de Ould Mohamed Laghdaf était surprenant ?
Quand il le choisit en août 2008, les Mauritaniens croient entrevoir le secret de ce choix : Ould Mohamed Laghdaf a longtemps vécu à Bruxelles où il doit s’être fait de nombreuses relations parmi le staff de l’Union Européenne, donc… On découvrira vite qu’il n’en était rien. Que Ould Mohamed Laghdaf avait autant d’influence à Bruxelles qu’en Mauritanie… Il dirigera quand même un gouvernement d’exception dont le rôle était de légitimer une situation. Ce sera le Général Ould Abdel Aziz et son dispositif au sein de l’Armée qui géreront directement – parfois indirectement – la situation. Si bien qu’à son élection, Ould Abdel Aziz ne devra rien à personne ou presque.
Quand les accords de Dakar sont mis en œuvre, le Général reconduit Ould Mohamed Laghdaf comme Premier ministre d’un gouvernement d’union nationale qui aurait dû être une opportunité pour montrer ce dont il était capable en matière de meneur d’hommes. Ould Mohamed Laghdaf II sera une pâle copie de Ould Mohamed Laghdaf I. Le chef de classe ayant été encore absent.
En quatre mois, on aura vu Ould Mohamed Laghdaf III tout à fait fidèle à sa première image. Celle de quelqu’un qui a certes une excellente formation, qui est poli, convenant même… mais pas plus. Il lance les pare-feux ici, visite avec retard des zones sinistrées… juste de quoi donner l’impression qu’il s’occupe. Alors que, comme nous l’avions écrit dans une édition précédente, il nous donne l’impression qu’il est là contre son gré. Dommage…
Qu’est-ce qu’on attend d’un Premier ministre ? D’abord et surtout une coordination de l’action du gouvernement. Cela exige une parfaite connaissance des rouages de l’administration. Ce qui manque à Ould Mohamed Laghdaf et à son directeur de cabinet qui n’ont jamais travaillé dans l’administration mauritanienne. C’est la première souffrance exprimée par les ministres et les hauts fonctionnaires. Conséquences : absence de suivi des dossiers, ce qui laisse libre cours aux ministres qui ne sentent pas l’urgence de régler telle ou telle question ; absence de plan d’action pour les différents départements ; absence aussi de mises en œuvre visibles de programmes concrets…
On peut demander aussi à un Premier ministre – et cela vaut pour un directeur de cabinet de président – de servir de bouclier à son Président. Le manque d’ancrage local pour Ould Mohamed Laghdaf l’empêche de jouer ce rôle. Si le Président de la République est constamment obligé de monter en première ligne pour défendre ses choix, c’est bien parce que ces proches collaborateurs – dont le Premier ministre – ne sont pas assez efficaces et/ou ne peuvent incarner ce qu’il promeut. Le Président Ould Abdel Aziz est du coup exposé et – fait grave – sans fusible pour supporter les surcharges et courts-circuits probables.
L’action du gouvernement dépend en partie de la capacité du premier des ministres à la rendre visible en l’accompagnant et en la suivant. Un handicap auquel les ministres du gouvernement de l’après élection devront faire face. Même si cela n’excuse pas leurs états de service. Voyons voir.
Quand il est nommé au ministère de la justice, Baha Ould Hmeida bénéficie de tous les préjugés positifs. D’origine haratine, sa nomination à un département aussi important est considérée comme un signe de «progrès». Juriste de formation ayant exercé – et plutôt bien – à la Banque centrale de Mauritanie, Ould Hmeida n’avait pas seulement à engager la fameuse réforme de la justice, mais aussi à corriger tous les dysfonctionnements dans la mise en application des lois incriminant la pratique de l’esclavage. La réforme de la justice et son assainissement attendront encore. L’essentiel n’ayant pas été fait. Et ce malgré les «affrontements» publics entre le Parquet et les avocats, affrontements qui cachent ceux, plus intenses et plus déterminants avec le corps des Magistrats assis. Le Parquet faisant partie du dispositif mise en œuvre en vue d’assainir la justice. Mais en l’absence d’une vision politique claire et engagée de la part du ministère, c’est le Parquet qui se retrouve aux premières lignes.
Dans quelques jours, se tiendra le conseil de la Magistrature. C’est l’occasion pour le ministère et pour Ould Hmeida de donner le signal que quelque chose est en train de changer. Pourquoi ne pas annoncer la réhabilitation de l’inspection par exemple ? Il s’agit de donner à l’inspection son rôle premier qui est celui de l’évaluation des Magistrats et à partir d’un contrôle opéré dans les normes prévues par la loi, cibler ceux qui doivent être sanctionnés par la radiation ou la dégradation, mais aussi ceux qui doivent être promus. Cette démarche a plusieurs fois été reculée par les précédents gouvernements, il est temps de lui redonner corps.
Mme Naha Mint Mouknass est présente partout. Donnant l’impression d’un retour de la Mauritanie sur la scène internationale. C’est un peu comme si elle reprenait là où son père, feu Hamdi Ould Mouknass, avait laissé la diplomatie mauritanienne. Sa nomination à ce poste a été ressentie comme un signe de progrès, tout comme le nombre de femmes dans le gouvernement (six). Premier pays arabe à avoir une femme ministre des affaires étrangères. Au niveau du ministère, rien n’a encore bougé. Les Ambassades sont toujours absentes là où elles sont. Les nominations ne suivent toujours pas les règles de compétence. L’image du pays reste à faire. Mais est-ce le travail du seul ministre des affaires étrangères ?
Hammadi Ould Hammadi à la défense… A peine si ce n’est pas Mohamed Mahmoud Ould Mohamed Lemine, Baba Ould Sidi ou Kaba Ould Elewa… pour dire qu’un civil à la défense cela fait «déco». Ce qui est un gâchis pour ce militant kadihine de première heure, devenu consultant, homme d’affaires et membre de l’initiative citoyenne pour le changement (ICC). Le confiner dans un rôle qui n’en est pas, c’est peu lui demander…
Autre nomination qui aurait dû signifier le renouveau : celle d’un haratine à la tête du département de l’intérieur et de la décentralisation. Mohamed Ould Boilil, juste rédacteur d’administration, avait été préfet et gouverneur. Député transfuge du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), il avait été «récompensé» pour son engagement avec les putschistes. Il avait l’opportunité de montrer de quoi il était capable. A part élever le ton devant les députés et les sénateurs, rien n’est apparu. Aucune réforme de l’administration ne pointe. Les choix dans les nominations sont encore plus discutables. Tout comme la gestion du département. Et sa présence à la tête du département, en tant que hartani, n’a rien changé aux comportements de l’administration vis-à-vis de la question : voir les conclusions de la commission spéciale onusienne il y a peu.
Sidi Ould Tah avait tout pour réussir : la formation, le cursus universitaire et l’expérience des hautes sphères de l’Etat (conseiller du Président, du Premier ministre)… Dans les milieux de ses collègues, on lui reproche une «certaine nonchalance». Dans les sessions hebdomadaires des conseils des ministres, on l’entend rarement intervenir.
Les dernières sorties du ministre des finances, Kane Ousmane ont révélé l’importance de la compétence pour le responsable, qui qu’il soit. Il a fait impression au Parlement et sur le public. Pour le polytechnicien – X-mines, svp !-, l’exercice était difficile. Mais les qualités intrinsèques de l’homme lui ont permis de passer le cap, et de le passer avec brio. Le tandem qu’il a su former avec le gouverneur de la BCM, Sid’Ahmed Ould Raiss, a permis au pays de reprendre sa place au sein de l’échiquier financier international. La signature d’un programme avec le FMI en a été l’illsutration. Non seulement le FMI reconnait la pertinence du programme proposé par le gouvernement mauritanien, non seulement il constate le retour aux équilibres macro-économiques fondamentaux (taux de change maîtrisé, de réserves suffisantes, balance de paiemnt équilibrée…), mais il s’engage à multiplier par six les montants de l’appui pour les trois ans à venir : ce montant passe de six millions de dollars pour les programmes antécédents à 120 millions pour ce programme dont la mise en œuvre commence en janvier prochain.
Pour Kane Ousmane, beaucoup de choses restent à faire, notamment au sein de l’administration des finances où il faut promouvoir la compétence et l’intégrité pour permettre une meilleure utilisation de la ressource humaine.
Tout comme la réforme visant à scinder le ministère de l’éducation en deux, le choix des deux locataires était inutile et peu judicieux. Ahmed Ould Idey et Ahmed Ould Bahiya ne pouvaient rien apporter mis ensemble pour un système éducatif qui demande beaucoup plus de sérieux, d’expérience dans la gestion des crises et d’engagement. Nous assistons à une année blanche qui ne dit pas son nom. La seule façon d’y rémédier, c’est bien de préparer dès à présent la rentrée prochaine…
On ne sait jamais à quoi sert un ministère des Affaires islamiques et de l’Enseignement originel. Avec Ahmed Ould Neini, on se rend compte quand même que ce n’est pas fait pour engraisser certaines figures politiques, activistes ou pas de la mouvance islamique. On a enregistré quand même très peu de plaintes à l’occasion de l’organisation du Haj cette année. Pour le reste, on attend encore…
Dr Bâ Coumba était attendue sur les grands dossiers de la fonction publique. Rien n’avance vraiment. Tandis que le ministère se vide de ses compétences les plus sûres. Très décriée dans son département, Dr Bâ Coumba aurait mieux fait ailleurs. Probablement.
Au ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle, on avait nommé un inconnu, Mohamed Ould Khouna. Quatre mois après, il reste inconnu.
Cheikh El Moctar Ould Horma Ould Babana est sans doute l’un des ministres les plus visibles de ce gouvernement. C’est qu’il entend donner corps aux promesses du Président Ould Abdel Aziz concernant le dossier de la santé. Donnant l’impression que la prise de conscience de la gravité de la situation est bien là. Est-ce suffisant ?
Ahmed Ould Moulaye Ahmed fait partie de ces jeunes cadres qui peuvent incarner le renouveau. Sa réputation d’intégrité faisait de sa nomination à la tête du département du pétrole, un signe fort de la part du Président Ould Abdel Aziz qui se voyait accusé par ses protagonistes de ne rien vouloir d’autre que mettre la main sur les richesses du pays. Mais quelle nouvelle politique pour le pays concernant la gestion des rapports avec les sociétés pétrolières ? quelles mesures prises pour éviter la bureaucratisation de ces relations, bureaucratisation qui ouvre la voie à la corruption et aux relations insidieuses ? quelle politique dans la promotion des compétences à l’intérieur du département ? à quand la correction des dysfonctionnement dans la gestion de la ressource pétrolière par la SMH ?
Ghdafina Ould Eyih était un inconnu du grand public avant sa nomination au ministère des pêches et de l’économie maritime. Il reste un illustre inconnu.
Au ministère du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, c’est Bomba Ould Dramane qui avait été reconduit. Si son premier passage – pendant les onze mois de l’exception – l’avait révélé comme homme politique combatif et engagé, il s’est laissé aller depuis. Le tourisme se porte très mal. Rien de nouveau côté artisanat. Les prix restent instables. A sa décharge : les déterminants ne dépendent pas de lui.
Ismail Ould Bodde Ould Cheikh Sidya a été nommé au ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire. Une aubaine pour ce centralien, jusque-là consultant indépendant et gérant ses propres affaires, transfuge du RFD. Il fait partie de ces compétences qui vont probablement compter dans l’avenir du pays. A son actif la mise en œuvre du programme de réforme de l’urbanisation cher à Ould Abdel Aziz. Il est de tous les voyages touchant son domaine d’action. Mais c’est au niveau de Tintane qu’il est le plus attendu. Après avoir dirigé le projet de réhabilitation de la ville, le voilà ministre coiffant l’institution. Et le projet tarde. Même si sa première pierre a été posée à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance nationale.
Autre valeur actuelle au sein du gouvernement : Brahim Ould M’Barek, ministre du développement rural. Il compte et comptera certainement pour l’avenir. Certes il a hérité d’un ministère qui a souffert ces 30 dernières années de mauvaises politiques. Comme tout le reste. Mais c’est à lui de le remettre sur les rails. Cela ne peut se faire sans l’assainissement de l’existant et la promotion des compétences.
Camara Moussa Seydi Boubou, ministre de l’Equipement et des Transports, Mohamed Lemine Ould Aboye, ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement et Mohamed Abdallah Ould Oudaa, ministre de l’industrie et des mines, font partie des «péchés mignons» du Président Mohamed Ould Abdel Aziz. Ils n’ont peut-être rien à faire là où ils sont et auraient pu être plus efficaces ailleurs. Mais le Président tenait visiblement à les avoir là où ils sont. Et ils y sont.
Cissé Mint Cheikh Ould Boydé fait partie des femmes dont l’entrée au gouvernement avait suscité des espoirs de modernité. A la Culture, la Jeunesse et aux Sports, Mme Cissé Mint Cheikh Ould Boydé a eu beaucoup d’activités qui ont été l’objet d’une grande communication. Elle a visiblement essayé de secouer le cocotier, mais la résistance est énorme. Son plus grand challenge est la préparation de l’événement «Nouakchott, capitale du Monde Islamique en 2011». Elle est aussi attendue sur le programme de l’année prochaine. Pourra-t-elle relancer le festival des musiques nomades ? Pourra-t-elle réhabiliter la culture populaire par des manifestations culturelles nationales et/ou locales ? Et faire de la culture l’enjeu principal du changement ? Elle en a la capacité et la volonté, pourquoi ne pas le faire ?
L’une des grandes souffrances du gouvernement de l’après élection aura été la communication. Chaque fois, la présidence a dû se découvrir pour remplir le déficit. Le départ de Mohamed Mahmoud Ould Brahim Khlil de la présidence aura pesé pour concevoir la nouvelle formule : le ministère accueille les responsables devant communiquer sur tel ou tel sujet, le ministre de la communication se contentant de faire la présentation. Pourtant Mohamed Abdallahi Ould Boulhary pouvait – et peut – remplir sa mission de ministre de la communication. Qu’est-ce qui l’en empêche ?
Elle tranche avec les choix du passé comme ministre des Affaires sociales, de l’Enfance et de la Famille. Mme Moulaty Mint El Moctar inspire confiance. Mais nous sommes dans un département où les enjeux ne sont pas visibles. Comment doit-elle faire pour changer cette perception ? C’est le défi qui reste à relever pour elle.
Ministre Délégué auprès du Premier ministre chargé de l’Environnement et du Développement durable : Dr Drissa Diarra. Rien à dire. Les populations de l’Awkar – Awkar de l’Est comme de l’Ouest – se plaignent toujours de l’effet dévastateur des braconniers. Les camions arrivent toujours chargés de charbon de bois, récolté après destruction de forêts intérieures. Les rues et les environs des villes sont des dépotoirs de déchets toxiques. Les usines lâchent leurs fumées sans contrainte.
Ministre Délégué auprès du Premier ministre chargé de la modernisation de l’Administration et des TICS : Wagne Abdoulaye Drissa. La modernisation de l’administration ne peut être à l’image de ce département. Double-emplois des postes, incompétences des directeurs, inadéquation des choix… si cela continue, il ne faut pas espérer le changement pour très tôt.
Ikebrou Ould Mohamed a été nommé ministre délégué chargé du Maghreb Arabe, une sorte de ministre des affaires étrangères pour le Maghreb. Pas très difficile pour ce diplomate chevronné qui a gravi tous les échelons après une formation dans le cycle de la Chancellerie à l’ENA de Nouakchott. En quatre mois il y a eu les commissions mixtes avec les quatre pays du Maghreb. Il fait partie de quelques rares ministres ayant porté leur attention sur la réorganisation interne de son département. Cela continue.
A quoi sert un secrétaire général du Gouvernement ? A coordonner l’action du gouvernement ? à la suivre ? Depuis Ould Taya, c’est un Peulh qui occupe le poste. Après l’intermède de la parenthèse Zeine Ould Zeidane (qui avait choisi Ould Limam Malik), nous sommes revenus à la tradion. Avec Bâ Ousmane… Le reste importe peu.

MFO

Source : La Tribune N°481 du 28 décembre 2009



Lundi 28 Décembre 2009
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