DPG du Gouvernement : Dits et non-dits



DPG du Gouvernement : Dits et non-dits
La traditionnelle Déclaration de Politique Générale du Gouvernement, présentée mercredi dernier par le Premier ministre, Moulay Ould Mohamed Laghdaf, n'a pas failli à la règle : beaucoup de promesses, de chiffres, de projets, de dits et de non-dits ! Cible des tirs croisés de l'Opposition sur durant toute la période de la " Rectification ", pour avoir destitué un " président démocratiquement élu ", le régime du président Mohamed Ould Abdel Aziz avait certes à répondre de cette période mais également des quelques mois qu'il vient de passer en tant que président de la République.

Fort de la présence remarquée des députés de la Majorité, le Premier ministre ne s'est pas contenté seulement de se défendre, il a aussi attaqué. Resituant son Discours dans le cadre de la loi (article 73 de la Constitution), le Premier ministre impose aux députés de l'opposition de regarder toute la période de la Rectification comme une gestion ordinaire dont il rendra compte, avant de passer aux perspectives en 2010. Ainsi, il n'hésitera pas à présenter les Accords de Dakar - encore eux - sous les meilleurs auspices, en faisant même la " propriété " de son gouvernement qui " a su relever le défi par le rétablissement de l'ordre constitutionnel après le mouvement du 6 août. " Après coup, et même inutilement, Ould Mohamed Laghdaf persiste et signe : " Ce mouvement, faut-il le rappeler, était nécessaire pour sauver les acquis démocratiques et préserver les institutions républicaines " !

Il y a cependant une part de vérité quand le Premier ministre dira que le Gouvernement, en privilégiant le " choix réaliste, la voie du dialogue et de la concertation pour sortir " de la crise avait épargné au pays " les retombées de l'embargo économique, les dérives de la discorde et les dangers de l'instabilité. "

Au passage, le Premier ministre ne se privera pas de rappeler à l'opposition ses erreurs et sa naïveté : l'évocation des Accords de Dakar, " les soutiens des voisins et amis, dispensés à intensité variable ", la " part du lion " revenue aux adversaires des " Rectificateurs " (2/3 des portefeuilles ministériels dont l'Intérieur, Défense, Communication) dans la formation d'un gouvernement d'Union national n'était, en fait, que cet appât dont Mohamed Ould Abdel Aziz avait parlé lors de la campagne présidentielle, quand l'opposition avait accepté finalement de descendre dans l'arène. Avec de tels " arrangements ", il est donc tout à fait loisible à un Premier ministre, reconduit pour ce qui ressemble bien à des faits d'armes, de tourner le couteau dans la plaie d'une opposition encore meurtrie. La lecture que le Premier ministre présentera du " retour " à la légalité est on ne peut plus idyllique, se plaçant aux antipodes de la réalité que tout Mauritanien conséquent observe aujourd'hui :

" La voie du compromis, adoptée par les hautes autorités du pays, s'est ancrée après l'investiture du Président de la République qui, sans tarder, avait invité les leaders des partis opposants au dialogue et à une participation responsable aux efforts de développement " !

Il dit encore vrai quand il évoque l'inexpérience de la Mauritanie en gestion des crises, la déstabilisation qui la guette, du fait des risques externes (comme la drogue, le terrorisme et la migration clandestine), mais il prend des risques en évoquant " l'incurie des régimes précédents ", Mal dont son gouvernement serait lui-même atteint!


Le pouvoir fixe les règles du jeu

Le Discours de Politique Générale du Gouvernement contient aussi une propédeutique propre aux relations futures entre la Majorité et l'Opposition. Les règles de cette relation (forcément verticale) sont fixées par le pouvoir lui-même : " Par son rôle constructif, une opposition responsable forcera le respect et recevra, à cet égard, une reconnaissance méritée. Mais il ne faut pas oublier que le devoir de contribution positive à l'effort du développement et la responsabilité partagée dans la sauvegarde de la sécurité et de la stabilité, imposent à toutes les forces politiques un abandon systématique de la logique de confrontation. Les leaders d'opinion doivent privilégier, en toutes circonstances, la tolérance, l'ouverture et la modération dans les opinions et attitudes " ! Ainsi on a les " critères ", mais qui en jugera de leur réalisation ? La " responsabilité " de l'opposition ne tiendrait-elle pas, en fait, à son degré de docilité et de soumission à la " loi " du plus fort ? Elle sera " responsable ", quand acceptera de " rester tranquille ", comme on dit, et sans vergogne, si elle joue son rôle de contre-pouvoir.

Comment peut-on, dans ce cas, évoquer " la volonté d'ouverture exprimée activement par le Président de la République ", quand on sait que la Majorité met un point d'honneur à refuser toutes suggestions faites par l'Opposition, comme en témoigne le rejet systématique de tous les amendements proposés par celle-ci sur la nouvelle loi sur le terrorisme ou certains aspects du Budget 2010 ?


Leurres et lueurs

Le discours itératif du Premier ministre Moulay Ould Mohamed Laghdaf est, à bien des égards, emprunts de non-dits. La tonalité générale est celle des réformes que le pouvoir dit vouloir mettre en branle pour jeter les bases de cette Mauritanie Nouvelle chère au président Mohamed Ould Abdel Aziz mais, du point de vue pratique, il y a comme un flou artistique qui entoure les détails de la DPG de Ould Mohamed Laghdaf. Revenant sur l'action de son gouvernement en 2009, le Premier ministre dira que le " Gouvernement a traité de manière satisfaisante les problèmes consécutifs aux inondations enregistrées durant le dernier hivernage, surtout dans les wilayas du Hodh Al Gharbi, Assaba, Guidimagha, Gorgol, Brakna, Trarza, Tiris Zemour et Nouakchott. " Ne sommes-nous pas en droit de savoir le " prix " de tels programmes d'urgences pour évaluer, à notre tour, le degré de satisfaction en dehors de celle des exécutants de telles opérations ?

Le seul indice sur l'importance des ressources engagées vient de l'évocation par le PM de la subvention des produits de première nécessité à l'occasion du mois de Ramadan, qui aurait coûté au Trésor public la bagatelle de 1.000.000.000 d'ouguiyas. Avec les résultats que l'on sait.

Une opération ponctuelle qui n'est aujourd'hui qu'un lointain souvenir, avec le retour au grand galop de prix qui montent, montent, montent. Et le Premier ministre ne doit pas hésiter un instant pour dire au " président des pauvres " qu'un tel retournement de situation risque de jeter le discrédit sur l'ensemble de sa politique sociale, si des mesures urgentes ne sont pas prises pour préserver le pouvoir d'achat des populations.

Surtout qu'il est très mal indiqué de procéder, par à-coups, à des distributions de vivres comme celles qui ont permis, en 2009, de livrer 14.000 tonnes de produit alimentaires (essentiellement du blé, du riz et du sucre), habituant les populations pauvres à ce réflexe pavlovien digne d'un autre âge.

Le Premier ministre ne manquera pas de souligner que l'appui du Gouvernement a également englobé l'énergie, l'eau potable, les soins d'urgence et les médicaments. Dans ce cadre, la Société Nationale d'Eau (SNDE) et la Société Mauritanienne de Gaz (Somagaz) auraient respectivement baissé leurs prix de 8% et de 20% alors que la Société Mauritanienne d'Electricité a systématiquement gelé ses tarifs. Toutes ces subventions ont coûté au trésor public un montant global de 4 milliards d'ouguiya.

Dans le domaine des infrastructures, le Premier ministre brandit comme un trophée les 125 Km de routes bitumées, essentiellement à Nouakchott. Il dira que cela " fait partie d'un programme ambitieux encore en cours d'exécution et premier de son genre " en Mauritanie. Mais on se rappela sans doute que l'ancien pouvoir de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi a, par la voix de l'un de ses anciens ministres, revendiqué la paternité d'un tel projet que la Rectification a tout simplement " activé " l'exécution, en vue d'en tirer des dividendes politiques à la veille d'une élection présidentielle à importants enjeux.


2008 : Une année de (non) référence

Par rapport à 2008, les indicateurs économiques et financiers seraient passés au vert ! Si cela est vrai en termes relatifs, le fait n'est pas, forcément, la preuve que la situation du pays est rassurante. Pour dire que " le niveau de croissance économique garde un cap acceptable ", c'est l'indice de développement humain (IDH) auquel le système des Nations unies se réfère et non pas les indicateurs macroéconomiques qui ont démontré leur limite par le passé. Que signifie, en effet, pour un pauvre qui saute deux repas sur trois, que " le taux d'inflation (ait) passé de 7,3 %, en 2008, à 2%, en 2009 " et que " les recettes fiscales, y compris les dons, (aient) augmenté de 17%, allant de 132 Milliards en septembre 2008 à 152 Milliards en septembre 2009 " ?

Concernant les données fournies par le Premier ministre sur le secteur de la pêche, l'année 2008 loin d'être la référence pour " l'âge d'or " de ce secteur vital pour l'économie du pays. Que les exportations de la pêche maritime aient atteint 195 Millions de dollars durant les sept premiers mois de l'année 2009, au lieu de 149 Millions de dollars à la même période de l'année 2008 (soit une augmentation de 30%), n'explique pas le désarroi que connaît le secteur de la pêche et les difficultés que rencontrent les opérateurs privés pour écouler leurs produits.


Vivement 2011 !

" L'action du Gouvernement reste guidée par les objectifs majeurs que le Président de la République a fixés dans son programme électoral et a réitérés en plusieurs circonstances, surtout à l'occasion de son discours d'investiture le 5 août 2009. Ces objectifs se résument, globalement, dans l'engagement, ferme et courageux, de sauver le pays de la dérive qu'il connaît du fait des mauvaises politiques, appliquées par les régimes qui se sont succédé durant quelques décennies. " Parole de Premier ministre, pourrait bien rétorquer l'opposition démocratique à Moulay Ould Mohamed Laghdaf qui, par l'étalage de données sur 2009, non vérifiable par une entité neutre, ou même par un Parlement qui est acquis majoritairement au gouvernement, ne prend pas de gants pour annoncer les perspectives en 2010.

Nonobstant les appréciations subjectives sur la gestion des questions politiques, les aspects économiques de la DPG du gouvernement auront pour seul juge le peuple. Ould Mohamed Laghdaf et ses ministres auront toute l'année 2010 faire leurs preuves dans un contexte nouveau qui exclut toutes excuses du genre de celles qu'on a mis en avant lors de la crise issue du coup d'Etat du 6 août 2008. Deux grands défis se profilent alors à l'horizon : la lutte contre le terrorisme et l'opération mains propres que le pouvoir mène tambour battant, se hasardant même à investiguer dans les eaux troubles du passé. En 2011, le Premier ministre, si bien sûr il reste en place jusque-là, ne pourra pas resservir au Parlement et au Peuple mauritaniens une Déclaration de Politique Générale qui ressemble, comme deux gouttes d'eau, à celles que ses prédécesseurs avaient prononcées dans des contextes tout autre.


Source:
L'authentique

Lundi 11 Janvier 2010
Boolumbal Boolumbal
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