Ould Maouloud à Walf (Sénégal) : ‘Il faut éloigner l’armée du jeu politique’



L’Union des forces du progrès (Ufp) est considérée en Mauritanie comme le parti de l’intelligentsia. Elle regroupe en son sein toutes les communautés qui composent la Mauritanie. Seulement, cela ne l’a pas empêchée de se retrouver, à l’issue du premier tour de la présidentielle, avec 4,08 % de l’électorat. La raison de cette débâcle, Mohamed Maouloud, leader de l’Ufp, l’explique, d’une part, par le vote identitaire. Lequel a profité à des leaders qui ont axé leur propos de campagne sur des considérations particulières.

A travers l’entretien qu’il nous a accordé, Mohamed Ould Maouloud revient, par ailleurs, sur les remous qui ont agité son parti lorsqu’il s’est agi de choisir le candidat à soutenir pour le second tour. Il apprécie, également, la gestion du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (Cmjd) de la période transitoire.

Wal Fadjri : Les responsables de votre parti n’étaient pas unanimes pour soutenir la candidature de Ahmed Ould Daddah avant que vous ne tranchiez en sa faveur. Comment expliquez-vous votre choix ?

Mohamed Ould Maouloud : Ma décision se fonde sur les éléments suivants : d’abord, nous sommes dans une coalition que l’on appelle la Coalition des forces de changement démocratique (Cfcd) qui, pour des raisons multiples, avait fini par ne pas prendre de décisions pour le deuxième tour. Je n’aimerai pas revenir là-dessus mais l’essentiel est que, pour le deuxième tour, chaque candidat, membre de la coalition a la liberté de prendre la décision qui lui paraît la plus appropriée. Evidemment pour nous, nous avions envisagé de discuter avec les deux candidats qui étaient restés en lice pour nous assurer d’abord de leur projet pour la Mauritanie, de certaines questions particulières et voir, en fin, celui qui nous présente les meilleures garanties pour le changement et pour l’application de ces points de programme, notamment ceux relatifs à la stabilité, à la stabilisation du système démocratique. L’analyse globale des discussions et de la situation a fini par m’amener à porter notre soutien sur le candidat Ahmed Ould Daddah.

Wal Fadjri : L’on dit que votre soutien à Ahmed Ould Daddah devait être automatique et qu’il ne devrait pas y avoir de discussions avec l’autre candidat, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, entouré par des gens de l’ancien système que vous avez toujours combattus...

Mohamed Ould Maouloud : Le problème est que Sidi Ould Cheikh Abdallahi est un candidat indépendant. Ensuite, il a une personnalité très honorable et très respectable. Il est patriote et a une bonne vision pour la Mauritanie. Il est indépendant, donc susceptible d’avoir toute sorte de soutiens. Il nous était, alors, permis d’envisager des discussions avec lui. Maintenant, en faisant notre analyse globale, nous nous sommes rendu compte que derrière lui, se regroupe le camp qui était au pouvoir. Faisant qu’il lui sera très difficile de réaliser son programme de réforme. C’est pour cela que nous avons considéré qu’il ne présentait pas les mêmes garanties d’application du programme que présente le candidat Ahmed Ould Daddah sur lequel pèsent moins de forces conservatrices, qui a les coudées beaucoup plus franches et qui a un programme très proche du nôtre.

Wal Fadjri : Dans quels aspects par exemple ?

Mohamed Ould Maouloud : Son programme et le nôtre se recoupent sur beaucoup de points et c’est le cas chez bon nombre de candidats parce que les questions mauritaniennes les plus épineuses et les plus graves sont, aujourd’hui, l’objet d’un large consensus. Maintenant, ce que nous avons souligné, de façon particulière, ce sont les questions qui, pour nous, contribuent à la stabilisation du système démocratique mauritanien. Vous savez, le grand enjeu après le second tour c’est de stabiliser les jeux démocratiques, les institutions démocratiques pour créer un environnement propice à la mise en œuvre des réformes. Pour nous, la première chose est la nécessité d’un gouvernement de large union nationale. C’est-à-dire que la victoire de notre candidat doit ouvrir la voie à l’avènement d’une nouvelle approche en matière de gestion de différends politiques et conduire à l’implication de l’opposition dans la gestion du pouvoir pour qu’il y ait un climat de sérénité qui favorise la stabilisation des institutions et la mise en œuvre des programmes de réforme. Les autres questions sont relatives à la nécessité de conduire à bien la mission de ramener l’Armée dans son rôle républicain de défenseur du pays et de défenseur des institutions démocratiques. Désormais, nous rentrons dans une période où l’armée n’a pas à s’occuper du jeu politique. Le troisième point pour nous relève de l’unité nationale et de la reconstruction d’une réconciliation véritable. Il s’agit de régler le problème des déportés et de tout le passif humanitaire pour solder définitivement ce dossier et faire en sorte que ce pays puisse envisager l’avenir avec beaucoup plus de sérénité. Ce sont là des points particulièrement importants mais il y a aussi des points qui concernent des mesures essentielles, notamment un plan de lutte contre la corruption et la question de meilleure répartition des richesses.

Wal Fadjri : Votre score a été jugé très faible par rapport à votre rang dans le landerneau politique mauritanien. Comment expliquez-vous cela ?

Mohamed Ould Maouloud : Cela arrive toujours dans les élections. Il y a des hauts et des bas. On a parfois des surprises heureuses et parfois des surprises moins bonnes. C’est la règle de la vie politique. Maintenant comment expliquer le recul de 2 points que nous avons connu par rapport aux élections législatives et municipales de novembre ? Cela tient à la nature même de l’élection. En novembre, l’enjeu était local et la mobilisation locale pour les candidats locaux a été suffisamment forte et on s’exprimait par rapport à des considérations locales. Dans l’élection présidentielle, c’est surtout le sentiment national qui s’exprime. Et en ce moment, l’identification qui s’est faite n’est pas une identification politique. C’est une identification identitaire c’est-à-dire que chacun se reconnaît dans sa région, sa tribu et son ethnie. A partir de là, la tendance principale de l’électorat a été de faire un vote identitaire. Vous savez bien que dans un tel contexte, un candidat comme moi, qui n’a pour tribu, pour région et pour ethnie que la Mauritanie va se retrouver en difficulté. Et, c’est ce qui est arrivé. Chacun est allé chez le candidat qui s’identifie à sa région, sa tribu ou son ethnie. Donc, j’ai été, effectivement, affecté par cette tendance générale de l’électorat. L’autre explication est que nous sortions d’une période de non débat et de non liberté en matière électorale. C’est la première fois que l’électorat mauritanien expérimente sa liberté. Faisant qu’il y a une grande confusion. Il est d’ailleurs normal qu’après une longue période d’autoritarisme que les voix aillent dans tous les sens. Mais, je suis sûr que cela n’est qu’un défoulement de l’électorat et que l’expérience va l’amener à plus de maturité pour les prochaines consultations électorales.

Wal Fadjri : Un défoulement qui exprime, tout de même, un certain malaise…

Mohamed Ould Maouloud : Bien sûr que dans ce vote identitaire, et en particulier, le vote négro-mauritanien n’avait de sens autre que protestataire. C’est-à-dire qu’effectivement, les Négro-africains ont été déçus par le coup d’Etat du 3 août 2005. Ils espéraient qu’avec le renversement de l’ancien régime, on allait s’occuper des questions qui les préoccupent, notamment le passif humanitaire, les déportés, etc, et que l’on allait apporter des débuts de solutions à ces problèmes-là. Finalement, rien n’a été fait dans ce sens. Je dois vous dire qu’au lendemain du coup d’Etat, j’ai discuté de ce problème avec le président de la République et je lui ai demandé de régler ce problème de façon rapide et de s’en occuper parce que c’était parmi les questions les plus lancinantes et qui menacent l’unité nationale. Ce qui fait que cela n’avait pas besoin d’un consensus parce qu’existant déjà autour de ce problème et il fallait éviter qu’il ne devienne un enjeu politique. L’on sait que les questions ethniques en période électorale sont relativement dangereuses. Le chef de l’Etat ne m’a pas suivi et je suis revenu à la charge, trois fois, mais il a considéré que le pouvoir militaire n’a pas à ouvrir ce qui peut être une boîte de Pandore qui prendra beaucoup de temps alors qu’ils n’ont que leur temps à eux est très limité. Donc, ce dossier est resté bloqué et cela a créé un malaise au sein du milieu négro-africain et le malaise s’est exprimé…

Wal Fadjri : Pensez-vous qu’avec l’élection de votre candidat, ce dossier sera résolu de manière définitive ?

Mohamed Ould Maouloud : Je dois dire que la porte était ouverte. Seulement parce qu’il n’existe pas de partis Mauritaniens ou de leader qui ne conviennent pas de la nécessité de régler le passif humanitaire, de ramener les déportés, de faire les réparations nécessaires pour les familles, les ayants droit, les victimes et de les réhabiliter. C’est un consensus général qui s’est fait même avant la chute de l’ancien président Taya. Le consensus existant, il n’y avait pas à attendre. Le Conseil militaire pouvait régler le problème. C’est pour cela qu’il y a eu maldonne entre l’électoral négro-africain et l’existence d’une situation favorable au règlement du problème au lendemain de la transition. Chacun des deux candidats en lice est très clair sur la question. Donc, il n’y a pas de blocages. Le seul blocage était le refus du Cmjd d’engager le règlement de ce problème.

Wal Fadjri : Et de manière générale quelle appréciation faites-vous de la gestion du pouvoir par le Cmjd ?

Mohamed Ould Maouloud : Il faut regarder les faits. Sur le plan politique, ils ont fini par respecter leurs engagements d’organiser des élections relativement transparentes. Evidemment, nous avons eu à critiquer l’ingérence puisque la neutralité n’a pas été ce que nous souhaitions et c’est la seule tâche. Mais au total, sur le plan de la transition, le Cmjd doit être félicité. En ce qui concerne la gestion du pays, de l’économie, je pense que le résultat est moins probant pour ce qui concerne la bonne gouvernance.

Wal Fadjri : C’est-à-dire ?

Mohamed Ould Maouloud : C’est-à-dire que nous avons beaucoup de choses à reprocher au Conseil sur ce plan. Mais, pour nous, l’essentiel était le processus politique. Surtout que leur période était limitée. Ainsi, même si la gestion n’est pas des meilleures, elle est limitée dans le temps et nous n’avons pas besoin de nous en plaindre pendant longtemps. Le fait que la période soit aussi courte ne leur permettait pas aussi de faire les choses comme il convient. Mais, je pense que la bonne volonté existait. Il y a eu des efforts dans le sens de la bonne gouvernance, du redressement de la justice. Retenons que la période est limitée et le système, coriace. Donc, le changement n’est pas sans peine.

Wal Fadjri : Avez-vous discuté avec Ahmed Ould Daddah de l’avenir des membres du Cmjd ?

Mohamed Ould Maouloud : Non. Nous avons, surtout, discuté de la nécessité de soutenir l’Armée, de l’appuyer pour qu’elle retrouve son rôle, se modernise et se consolide. Je pense que tous les efforts seront faits pour la mettre dans les meilleures conditions et l’éloigner du jeu politique qui lui a causé beaucoup de nuisances.

Propos recueillis par Elh Saidou Nourou DIA

source : Walfadjri (Sénégal)

Jeudi 16 Octobre 2014
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