Oui, le soldat Diallo, grand-père de Black M, a bien combattu en 39-45

La fachosphère relayée par Robert Ménard affirmait que le rappeur s'était inventé un aïeul ayant combattu pour la France. Il n'en est rien.



Après l’annulation de son concert à l’occasion des commémorations du centenaire de la Bataille de Verdun, le rappeur Black M avait pensé mettre fin à la polémique en évoquant sur Facebook, l’«immense fierté» qu’il avait ressenti quand on avait fait appel à lui, mais aussi, photo à l’appui, l’histoire de son «grand-père Alpha Mamoudou Diallo, d’origine guinéenne, [qui] a combattu lors de la guerre 39-45 au sein des tirailleurs sénégalais - ces mêmes tirailleurs sénégalais qui étaient également présents lors de la Bataille de Verdun».

Mais c’était sans compter sur Robert Ménard, maire de Béziers, qui a jugé opportun de remettre une pièce dans le jukebox, en reprenant, tout comme les ténors de la fachosphère, l’hypothèse du blogueur Ahmed Menguini, qui cite un certain historien pour qui «il n’y a pas d’Alpha Mamoudou Diallo guinéen incorporé dans les troupes coloniales».

Profitant de son passage sur LCI, mercredi 18 mai 2016, Ménard a ainsi sommé les journalistes d’apporter des preuves, en particulier à ceux «toujours prêts à vérifier n’importe quel propos» (coucou c’est nous!) et qui auraient naïvement cru Black M sur parole: «Je pose la question, a ainsi affirmé le maire de Béziers. Il y a un historien qui s’appelle Pascal Guy, qui est allé à Vincennes. Vous savez, là où il y a les archives et il n’a trouvé personne du nom d’Alpha Mamoudou Diallo, le grand-père tirailleurs sénégalais de notre rappeur. C’est tout. Je pose la question».

- Et il a menti?

– Je pose la question! Je demande aux journalistes toujours prêts à vérifier n’importe quel propos d’un certain nombre de gens, suivant où ils sont situés sur l’échiquier politique. J’imagine que grâce à vous de tout de suite…

– Mais vous reconnaissez qu’on peut être tirailleur sénégalais et ne pas apparaître sur les archives? Tous les noms n’ont pas forcément été…

– Pardon, Madame. Je ne crois pas que vous soyez historienne. Je ne le suis pas. J’espère que vous allez tout de suite là-bas voir si vous trouvez ce nom-là.»

DESINTOX. Et toc! Prenez ça les journaleux, même pas fichus d’aller vérifier une information à Vincennes, comme ce brave Pascal Guy, «historien et spécialiste du Ier Empire, qui a en sa qualité de chercheur a une carte d’accès aux archives militaires de Vincennes» précise Ahmed Menguini. Sur son blog, il détaille la méthodologie dudit historien, qui aurait «fait des recherches minutieuses avec toutes les orthographes possibles» dans les archives publiques et disponibles librement sur Internet et qui n’aurait pas trouvé le grand-père de Black M.

En toute amabilité, il a même ajouté un lien vers sa source: le document «Pensions des troupes coloniales et des troupes indigènes (1850-1950)», qui permet au lecteur de vérifier par lui-même. Et c’est ce qu’on a fait. Effectivement, seul deux Diallo, dont un trop vieux et un démobilisé en 1941, correspondent au profil du grand-père. Aussi, comme la journaliste qui interrogeait Robert Ménard, on s’est dit que peut-être, il n’avait pas été listé dans ce document. Après tout, seuls 29084 soldats figurent dans cette archive qui couvre pourtant un siècle d’armée coloniale.

A titre comparatif, en 2006, lors des commémorations du 90e anniversaire de la bataille de Verdun, Jacques Chirac avait rendu hommage aux «70 000 combattants de l’ex-Empire français» morts pour la France entre 1914 et 1918. L’archive consultée par Pascal Guy n’étant pas exhaustive, la journaliste de LCI avait raison, cher Robert Ménard…

Mais alors pourquoi avoir écrit qu’il s’agissait de «la liste complète des combattants des troupes coloniales et indigènes»? Pour savoir, le meilleur moyen est de passer un coup de téléphone à Pascal Guy, qui, rappelons-le, est un historien allé à Vincennes selon le maire de Béziers. Difficile de le trouver en tapant son nom dans un moteur recherche. Il a fallu donc passer par Ahmed Meguini, le blogueur qui a publié en premier les révélations. Au téléphone, il présente cette fois Pascal Guy comme étant quelqu’un qu’il a découvert sur Facebook et «qui s’est présenté comme historien». D’ailleurs «il a fait une thèse d’histoire» même si pour l’instant il travaillerait «comme réceptionniste de nuit». Très poli, Ahmed Meguini a accepté de nous passer son contact.

Joint par téléphone, Pascal Guy nous répète sa méthodologie: sans avoir besoin de se rendre aux archives de Vincennes, il a pu vérifier «sur Internet», si le nom du grand-père du rappeur figurait dans les listes «des pensionnés et sur Mémoire des hommes», le site qui répertorie 1,3 million de militaires décédés pendant la Première Guerre mondiale, ainsi que d’autres soldats morts durant les guerres suivantes. Troublé par le fait que le nom d’Alpha Mamoudou Diallo n’apparaisse pas dans ces listes, il en a tiré la conclusion que l’on sait et pense «que c’est les équipes de communication du rappeur qui lui ont dit de poster la photo sur Facebook».

Interrogé sur son statut d’expert, Pascal Guy raconte être un «autodidacte», «pas du tout doctorant» qui publie régulièrement dans le magazine Guerre et histoire et rédige actuellement une biographie du général Junot. Soit, mais on nous avait parlé d’une «thèse d’histoire»? Réponse de l’intéressé: «Non, non, je n’ai pas fait de thèse d’histoire!» D’ailleurs il n’a pas étudié l’histoire à Tolbiac, mais l’archéologie, qu’il a laissée tomber en cours de licence, parce qu’on était «obligé de faire de l’histoire de l’art. J’étais plus Egypte antique», confie-t-il. A l’entendre parler, Pascal Guy est définitivement un passionné de l’histoire de France, mais d’habitude quand on cherche un expert crédible, on essaie de trouver un universitaire spécialiste du sujet.

On a donc d’un côté, un historien amateur qui ne trouve rien dans un document peu convaincant et de l’autre le témoignage du rappeur Black M avec une photo de son prétendu grand-père. Soit, mais on n’a retrouvé le soldat Diallo dans aucun registre…

Puisqu’il semble introuvable en France, Désintox a décidé d’aller à la source et de contacter l’Association des enfants des tirailleurs sénégalais de Guinée (qui appartient à la Fédération nationale des anciens combattants résidant hors de France). Après avoir vérifié dans les registres guinéens, son président Lamarana Amadou Diallo nous a alors communiqué une attestation où il certifie «qu’Alpha Diallo» (la véritable identité de Black M) «est le petit-fils de l’ancien combattant : Alfa Mamoudou DIALLO», «combattant de la 2e Guerre mondiale 1939-1945». Le document associe également une adresse dans le 13e arrondissement de Paris au descendant du soldat. Après vérification auprès de proches de Black M, il résulte qu’elle correspond bien à l’ancien domicile du chanteur, qui avait orthographié le prénom de son grand-père Alfa avec un «ph» au lieu d’un «f». Black M n’avait donc pas menti.

On image bien que Robert Ménard doit être ravi de voir qu’à nouveau, un journaliste était prêt à vérifier le n’importe quoi de ses interrogations. Par contre, pour la prochaine fois, ne serait-il pas plus simple d’être sûr de ce que l’on dit avant de passer à la télévision? On peut «poser la question», comme dit Ménard.

Source: http://www.liberation.fr

Dimanche 22 Mai 2016
Boolumbal Boolumbal
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