« Nous n’avons qu’une Mauritanie, ne l’abîmons pas ! »



« Nous n’avons qu’une Mauritanie, ne l’abîmons pas ! »
Vue de loin, la Mauritanie apparaît comme un pays tranquille, calme et stable. Or, voilà une image trompeuse qui égare bien des observateurs. C'est un pays complexe, secret, un volcan endormi, qui couve une crise interne découlant de la rupture d'un équilibre intercommunautaire.
Depuis le discours de La Baule, la Mauritanie dispose de sa « démocratie ». Avec une constitution (sur mesure), des partis politiques qui foisonnent, une presse dite « indépendante » que je préfère appeler « presse privée » et de temps en temps un simulacre de compétition électorale. C’est bien là des attributs d’une parfaite démocratie.
Mais la Mauritanie recouvre une toute autre réalité ; dissimule une face cachée d'une démocratie raciale. Cette donne est tellement insidieuse que les plaintes et les réserves à l’endroit de cette « démocratie » mauritanienne ne sont souvent pas comprises.
Depuis l’indépendance, nos chefs politiques incapables de se départir de l’esprit partisan, tous issus du milieu maure, se sont attelés sans relâche à développer des politiques qui, loin de forger la Nation encore inexistante, ont conduit à des crises cycliques et répétées, conduisant à une déchirure profonde entre les deux communautés. Par ces politiques nocives développées au fil des années et des régimes que guidait un système inique, on mit en place un apartheid déguisé. Déguisé, car on le chercherait en vain dans les textes institutionnels. Or il existe partout.
Le racisme d’État est partout !
La discrimination raciale commença d’abord feutrée, subtile et insidieuse, pour un projet qui allait devenir obsessionnel: construire une Mauritanie exclusivement arabe !
Pour ce faire, des mécanismes furent mis en œuvre pour que l’Etat fut la « chose » des arabo-berbères. Progressivement, au rythme des résistances qu’opposaient les Négro-africains, ont fît de sorte que les arabo-berbères contrôlent la réalité du pouvoir politique et économique, la justice, l’éducation, l’armée. La diplomatie ne sera pas en reste car, à l’extérieur, il faut afficher l’image d’une Mauritanie arabe par la composition des délégations, le discours et les clichés culturels.
Évidemment pour masquer la nature discriminatoire des régimes, on va saupoudrer un peu par quelques « nègres de service », sans responsabilité aucune, personnalités aux genoux tremblants, figurines sans aucun pouvoir de décision!
Un des rouages essentiels de cette machine à discriminer fut l’usage qu’on fit de la langue arabe. Cette langue introduite très tôt dans le système éducatif, à des fins « d’indépendance nationale » selon le discours officiel. Ce fut une vaste supercherie qui visait en fait à cacher de sordides motivations. On lui fît jouer un rôle, non pas d’intégration, non pas d’épanouissement pour tous, mais d'instrument de sélection et de discrimination dans l’emploi et l’éducation pour éliminer les Négro-africains. Les enfants négro-africains commencèrent à échouer massivement.
Ce fut la période où il y eut un raz-de marée sans précédent de cadis, de magistrats, d’enseignants, de centaines de jeunes sautant à pieds joints dans le système, sans aucune formation,et dont le seul critère de recrutement fut le passage à l’école coranique. Comme si passer par cette école procurait automatiquement les compétences et les capacités requises aux métiers qu'ils exerçaient.
Ce fut un vrai gâchis au plan national, à la base de l’impasse et de la déchéance actuelle du système éducatif. Il a été instauré ainsi une politique de marginalisation massive des Négro-africains qui allait atteindre son apogée avec l’avènement du colonel Maaouiya Ould Taya.
Beaucoup d’observateurs ont présenté à tort les crises en Mauritanie sous une orientation inter-ethniques, comme si la communauté arabo-berbère et négro-africaine, se dressaient, par animosité, l’une contre l’autre. Ce ne fut jamais le cas. Ces crises étaient à l’image de ce qui se passait au Kwazulu-natal du temps de Botha. Elles étaient orchestrées par nos dirigeants à des fins politiques pour les exploiter judicieusement.
Ce n’est pas par hasard si la déportation de 120. 000 noirs mauritaniens au Sénégal et au Mali, ne suscita que peu d’émoi du côté des intellectuels et de la classe politique beydane, où l’on notait un silence assourdissant. Seuls quelques jeunes du Mouvement des Démocrates Indépendants (MDI), allaient faire exception.
J’ai toujours eu le sentiment que l’intellectuel ne pouvait rester sans rien faire, sans rien dire devant l’injustice.
Pourquoi un tel silence? Le Régime du colonel-président avait-il réussi à les convaincre? C’est là du reste une dimension, entre autres, qui rend difficile la recherche d’une solution au problème, au regard de l’ambiguïté qu'entretiennent certaines formations politiques sur notre question nationale. Celles-ci, quand elles ne nient pas purement et simplement l’existence du problème, le réduisent à une simple question linguistique, ou de violation des droits de l’homme. A les entendre il suffirait, pour tout régler, que les déportés reviennent. Le débat, en général, au niveau de l’opposition politique au lieu de se focaliser sur les vrais problèmes, tournent hélas autour des questions périphériques.
En tout état de cause, ces déportations planifiées avaient des motivations sordides. Il s’agissait de profiter du « conflit » avec le Sénégal pour tenter de « dénégrifier » le pays, car le taux d’accroissement important des Négro-africains est devenu une hantise, au point que tous les résultats des recensements démographiques (par ethnie) sont tenus secrets, et ce depuis 1960 !
Il s’agissait aussi de saisir cette occasion pour faire passer enfin une réforme foncière qui rencontrait une forte résistance en milieu Négro-africain, pour servir des intérêts inavoués. La déportation justement, permit de redistribuer les terres de ces réfugiés en exil forcé au Sénégal, comme s’ils ne devaient plus jamais revenir.
Il s’agissait enfin de frapper les esprits en sévissant durement et partout pour intimider afin de décourager à jamais toute velléité de résistance, en décapitant la seule force politique organisée à l'époque que sont les FLAM, de manière à neutraliser l’avant garde éclairée de la contestation du projet hégémonique.
Dans le feu des événements, allait surgir une quatrième raison: récupérer le bétail peulh (150. 000 bovins) pour compenser les pertes matérielles subies par les maures rapatriés du Sénégal. Pour se venger du Sénégal voisin, les autorités mauritaniennes allaient se rabattre sans remords, sur ses propres citoyens qu’elles spolièrent et dépossédèrent pour les chasser ensuite comme des « vulgaires étrangers ».
Et dire que l’Afrique se tait devant ces actes barbares! Et qu’à côté, on garde un silence, à la limite de la complicité.
Ainsi donc, au fil des années et des régimes guidés par un même projet, la discrimination raciale allait s’accentuer, pour s’afficher violemment dans les années 80. Si avec les premiers régimes, un peu plus futés, elle fut feutrée, le règne du colonel Taya qui, lui, ne s’embrassera pas de scrupules, les Négro-africains passeront de l’état de marginalisation à l’exclusion totale ouvertement déclarée, dans laquelle, il faut replacer les déportations évoquées plus haut. Le colonel Taya allait, le premier, donner le cadre juridique de notre élimination par une constitution qui allait imposer désormais la langue arabe comme seule langue officielle.
Les plans d’ajustements structurels du FMI arrivant à point nommé, servirent pour vider l’administration des Négro-africains, surtout. Résolu, par une répression physique et mentale féroce, sans tergiverser comme ses prédécesseurs,Taya allait, à marche forcée, consolider le système et afficher l’option désormais déclarée d’une Mauritanie exclusivement arabe. « La Mauritanie n’est pas en voie d’arabisation c’est un pays Arabe » déclara t-il à Jeune Afrique en Janvier 1990.
En Mauritanie, on est en face d'une minorité qui, pour pérenniser son pouvoir abuse de l’État et use d’un soubassement idéologique pour assimiler et asservir les autres composantes culturelles, une minorité qui confisque le pouvoir depuis plus de 50 ans, qui ne veut ni en partir, ni le partager. Voilà la réalité de notre « démocratie ».
Notre « démocratie » arrive donc et se plaque sur cette triste réalité qu’elle recouvre, intacte, sans rien changer, se muant ainsi en une « Démocratie raciale », à l'image de ce qu'a connu l'Afrique du sud.
Nous ne nous sentons pas concernés par une pseudo-démocratie qui nous exclut, nous avons cessé de croire en notre « État », qui a fait de nous des spectateurs passifs du jeu de compétitions électorales réservées aux citoyens à part entière. Nous sommes, nous Négro-africains, au stade où nous luttons pour notre survie, pour notre reconnaissance en tant que citoyens, en tant qu’hommes simplement, dans un milieu hostile où l’homme voue l’homme au racisme et à l’esclavage.
Pour sortir de cette impasse, il faut une attitude, un climat et des conditions. Une attitude courageuse d’ouverture sincère et de reconnaissance du problème. Un climat de décrispation sociale grâce à un train de mesures positives à l’endroit de tous ceux qui, victimes et blessés dans leur chair, ont subi des préjudices matériels et moraux. La sanction des crimes commis pour rendre leur dignité aux victimes, à leurs familles et aux orphelins.
Il faut instaurer un dialogue, car ce formidable potentiel de révolte enfoui commence à gronder. Il serait erroné de croire que toutes ces années de calme plat pourraient exclure toute éventualité de soulèvement populaire.
Après une concertation nationale proposée dès 1986 par notre "Manifeste du Négro-mauritanien opprimé", et dont les conclusions pourraient éventuellement être soumises au peuple, on aborderait enfin la phase d’une véritable démocratisation.
L'urgence de l'essentiel nous commande d'agir car voici ma conviction profonde : nous n'avons qu'une Mauritanie, ne l'abîmons pas !
La lutte continue!
Kaaw Touré
Porte-parole des Forces Progressistes du Changement (FPC- ex-FLAM).


Source:http://terangaweb.com

Mercredi 4 Mars 2015
Boolumbal Boolumbal
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