Mohamed Echeikh, le militant anti-esclavagiste qui prit un raccourci vers la potence



Lorsque l’acteur américain David Oyelowo, qui a joué Martin Luther King dans le film Selma, pleurait en chantant l’hymne antiraciste « Glory », à l’occasion de la cérémonie des Oscars de cette année, un jeune mauritanien du nom de Mohamed Echeikh Weld Mkheitir pleurait au fond d’une cellule oubliée de Mauritanie, en attendant l’application du verdict de la Cour pénale de la ville de Nouadhibou qui a décidé la mise à mort de l’écrivain issu d’une classe sociale frappée de ségrégation et cela, selon l’article 306 de la loi pénale mauritanienne largement inspirée de la Chariâa.

Le crime de ce jeune écrivain est un article d’opinion intitulé « La Religion, la religiosité et les Mâallmine ». Il y discute deux concepts religieux différents en réaction à la ségrégation dont est frappée une catégorie sociale nommée « Les Mâallmine » et désignant les forgerons du Sahara. Il s’est appuyé en critiquant cette pratique raciste sur des textes de la tradition islamique, en l’occurrence une référence du Dr Abdel Majid Ennajjar qui distingue deux notions religieuses, à savoir « la religion » en tant que préceptes divins et la « religiosité » en tant qu’acquis humain.

L’affaire du procès de Mohamed Cheikh a été rendue publique sur les pages des grands journaux locaux et internationaux et dans des langues différentes. Plusieurs pétitions de soutien ont été signées et des pages sympathisantes créées sur les réseaux sociaux, avant qu’au fil des jours le dossier ne finisse par être classé et jeté aux oubliettes.

Sympathie locale et à l’étranger

Le tribunal a condamné Weld Mkheitir à la peine capitale vers la fin décembre 2014 et l’accusé a vite fait appel de cette décision.

L’écrivain mauritanien Abbes Weld Abraham, spécialiste en recherches sur le Moyen Orient et l’Afrique du Nord installé aux Etats Unis, affirme à ce sujet : « L’échéance de l’appel ne cesse de reculer pour plusieurs raisons, notamment le fait que les autorités ne souhaitent pas clore l’affaire. Car, d’une part, elles redoutent la communauté internationale si le détenu venait à être exécuté ; et, d’autre part, elles redoutent la communauté intégriste puissante qui demande sa tête ». Cette communauté intégriste, telle que la désigne le chercheur, a d’ailleurs réussi à terroriser l’avocat de Weld Mkheitir qui a démissionné, laissant son client sans défense.

Les autorités, qui apprécient le silence qui enveloppe l’affaire, ont fait savoir à certaines ambassades occidentales qu’elles le maintiennent en captivité de crainte que la foule n’attente à sa vie.

Cette sympathie qui oscille entre les pressions étrangères et les tensions internes s’est manifestée après que Kacem Al Ghazali, militant marocain des droits de l’homme et observateur auprès des Nations Unies, eut pris la défense de Mohamed Echeikh et Raïf Badaoui en protestant contre les lois islamiques relatives à l’apostasie, à l’occasion du Conseil des droits de l’homme tenu au mois de mars 2014. L’ambassadeur mauritanien aux Nations Unies avait alors répondu que « le citoyen mauritanien Mohamed Echeikh Weld Mkheitir est maintenu en état de détention pour assurer sa protection », déclaration qui s’oppose évidemment à ce que rapportent les agences de presse mauritaniennes selon lesquelles Weld Mkheitir a été condamné à la peine capitale pour apostasie, suite à l’article qu’il avait publié sur sa page Facebook et que d’autres sites ont par la suite relayé.

La nouveauté selon le chercheur Abbes Weld Abraham, c’est que « de plus en plus de voix se lèvent parmi les Mauritaniens expatriés pour exprimer leur sympathie. L’un d’eux est installé aux Etats Unis et s’appelle Mohamed Weld Abdelaziz. Il a suscité une vive polémique après avoir publié un article de solidarité qui a été relayé par les médias et par les citoyens mauritaniens. Sa famille l’a d’ailleurs renié immédiatement après». Le deuxième sympathisant réside en France et s’appelle El Aid Weld Mohamed. Il fut l’un des prédicateurs du mouvement « Adaâoua Wattabligh » (Le Prêche et la Prédication) dont il a renié les doctrines par la suite. A son tour, il publia un texte de solidarité sur Facebook.

Des Câtiments sur mesure

Dans la tradition mauritanienne, plus la tribu est prestigieuse, plus les sanctions se font douces et légères et, parallèlement à cela, plus la caste à laquelle appartient cette tribu est marginale dans la société, plus les châtiments sont impitoyables pour ses membres qui subissent toutes sortes de cruautés au nom de la loi. C’est du moins, ajoute Weld Abraham, ce qu’on peut déduire de la tolérance manifestée à l’égard des propos de Weld Abdelaziz, ce qui prouve le caractère ségrégatif dans le procès du jeune condamné à mort.

Weld Mkheitir en effet, explique le chercheur, est issu de la caste des « Mâallmine » aux origines ouvrières et faisant l’objet, dans cette société conservatrice d’injustice, de mépris et de marginalisation. Plusieurs activistes assurent d’ailleurs que la peine capitale frappant Weld Mkheitir s’inscrit dans le cadre de la vulnérabilité de sa caste, tandis que l’athéisme de Weld Abdelaziz, qui appartient à la caste puissante et socialement privilégiée des Zwaya, demeure ignoré par les instances judiciaires, par l’opinion publique et même par le mouvement « Ahbab Arrasoul » (Les Bien-Aimés du Prophète) et les jeunes du parti islamiste « Tawassol » (Communication), qui avaient pourtant mené des batailles « coraniques » contre l’athéisme, s’étonne-t-il.

Pour le militant mauritanien des droits de l’homme résident aux Etat Unis Sid Ahmed Atfeil, « Weld Mkheitir n’est qu’un bouc-émissaire sacrifié par les autorités sur l’autel des mouvements intégristes afin de gagner la sympathie d’une foule mauritanienne attirée par tout discours religieux qui titillerait ses sentiments à fleur de peau ». Weld Mkheitir, toujours selon le militant, « n’a ni pleureuses ni défenseurs dans un pays dominé par les relations tribales et par les alliances de clans. Beaucoup ont commis avant lui ce qui pourrait être interprété comme un dénigrement de la religion ou comme un mépris du Sacré ; mais ils n’ont jamais été inquiétés, uniquement parce qu’ils appartiennent aux castes qui gouvernent le pays. Weld Mkheitir est simplement victime de l’absence de justice en Mauritanie », conclut-il.

Malgré cette justice à deux poids, deux mesures, nombre d’activistes ont exprimé sur leurs pages leur refus de la peine capitale dont il fait l’objet. L’ex-député et ex-ministre Mohamed El Mokhtar Weld Ezzamel, ainsi que le député Al Mustapha Wel Abid Arrahmane ont également exprimé leur rejet du jugement prononcé par le magistrat de Nouadhibou. Sur la scène politique, certains partis se sont abstenus de tout commentaire, alors que d’autres se sont montrés favorables à la peine de mort. Ainsi le chef du parti islamiste Jamil Mansour, qui plus tard condamnera pourtant les incidents de Charlie Hebdo, considère Weld Mkheitir comme un criminel qui mérite d’être exécuté. Quant à Ahmed Weld Dadah, chef du parti socialiste démocrate « Takattol » et membre de l’Internationale Socialiste, il a dit ne pas avoir l’habitude de commenter les décisions de la justice, tout en espérant que le tribunal aura tranché selon les préceptes « du Coran et de la Sunna ».


Ainsi donc, Mohamed Echeikh Weld Mkheitir demeure prisonnier de sa cellule au fin fond du Sahara mauritanien, dans l’attente que bouge enfin l’échéance du recours en appel et que les autorités tranchent le rapport des forces en penchant en faveur du courant conservateur local ou en préférant soigner l’image internationale du pays par une grâce ou par une réduction de peine. Ce qui est certain toutefois, c’est que le combat, par la plume, de Weld Mkheitir contre le racisme aura été un raccourci qui aura ouvert la voie vers une sanction inhumaine nommé la peine de mort.

Source: http://dune-voices.info

Lundi 5 Octobre 2015
Boolumbal Boolumbal
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