Mauritanides 2014: une opération de charme qui laisse la société civile perplexe



Près de 1500 participants ont assisté au salon des mines et du pétrole de Nouakchott, Mauritanides 2014. Une opération de charme destinée aux investisseurs qui a peu séduit les représentants de la société civile. Les questions de transparence et les problèmes environnementaux ont été «esquivés», dénoncent-ils.
Par Mohamed Diop
Le salon Mauritanides 2014 a réuni du 13 au 15 octobre à Nouakchott les représentants d’une centaine d’entreprises et de vingt-quatre pays au Centre des Conférences de Nouakchott, la capitale mauritanienne. L’opération de charme visait à attirer davantage d’investisseurs dans les secteurs pétroliers et miniers mauritaniens. Elle avait également pour objectif de donner plus de visibilité aux opérateurs nationaux: la SINIM, Société Nationale Industrielle et Minière de Mauritanie, deuxième exportatrice de fer du continent avec 13,042 millions de tonnes de production en 2013 et un chiffre d’affaire de 1,200 milliards d’ouguiyas, selon ses chiffres. Kinross Tasiast Mauritanie qui dit avoir investi 1,3 millards de dollars entre 2010 et 2013. Et MCM, la Société des Mines de Cuivre de Mauritanie, qui affirme avoir produit 38 milles tonnes de cuivres et 60 milles onces d’or l’an dernier.
Pas moins de six ministres mauritaniens ont été mobilisés pour la réussite de ce salon organisé sous les auspices du chef de l’Etat mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz. Le chef du gouvernement, Yahya Ould Hademine, a appelé les investisseurs à venir profiter du «bon» emplacement de la Mauritanie ainsi que de ses lois et de sa situation sécuritaire «favorable» et «stable».
«Les investisseurs ne viennent pas dans un pays où leur argent n’est pas sécurisé»
L’opération séduction, qui a suscité la curiosité des médias, a cependant peu séduit la société civile. Ba Aliou Coulibaly, coordinateur technique de l’organisation mauritanienne de la société civile «Publiez ce que vous Payez», spécialisée dans le domaine des industries extractives, regrette que «le salon se soit focalisé uniquement sur les moyens de permettre à la Mauritanie de vendre ses ressources et de faire connaître ses opérateurs miniers».
Pour le militant, qu’un journaliste du Courrier du Sahara a pu rencontrer, «même s’il s’agit d’une opération marketing à saluer, il aurait été nécessaire d’aborder également les problèmes de transparence, de corruption et surtout de conflits sociaux dans le secteur. Il y a eu plusieurs grèves qui ont abouti à la mort d’un homme en 2012. Il va falloir régler ces questions si l’on veut attirer les investisseurs, parce qu’ils ne viennent pas dans un pays où leur argent n’est pas sécurisé». L’organisation «Publiez ce que vous Payez» espérait profiter de ce salon pour mettre à l’agenda les questions de transparence, de climat social et de normes environnementales. Mais l'ONG regrette de ne pas avoir été «associée directement à l’événement», selon les mots de son coordinateur technique.
C’est en effet l’ITE qui a été invitée. L’Initiative pour la Transparence des industries Extractives (section Mauritanie) réunit des représentants de l’Etat, des entreprises et de la société civile. La Mauritanie, qui a adhéré à l’ITE en 2007, est depuis considérée comme «pays conforme». «C'est parce que l’Etat a nommé un haut fonctionnaire en charge de la coordination et de la mise en œuvre de l’ITE. Un groupe multipartite (Etat, entreprise et société civile) a été mis en place pour que le processus soit inclusif», explique au Courrier du Sahara Bâ Papa Amadou, secrétaire permanent du comité ITE-Mauritanie.
«L’ITE ne représente pas toutes les composantes de la société civile»
Pour le coordinateur technique de «Publiez ce que vous Payez», Ba Aliou Coulibaly, «même si l’ITE compte des membres de la société civile, elle reste une institution de l’Etat qui ne représente par l’ensemble de la société civile. L’ITE ne se soucie pas des aspects environnementaux et sociaux du secteur ou de l’utilisation qui est faites des fonds tirés des industries extractives. Elle se focalise uniquement sur la publication de rapports et sur les transactions financières entre l’Etat et les entreprises».
Le représentant de l’ITE, Bâ Papa Amadou, explique que «les entreprises déclarent ce qu’elles versent à l’Etat qui, à son tour, déclare ce qu’il percoit d’elles». Il ajoute cependant que «depuis l’introduction, en mai 2011, des nouvelles normes ITE, nous avons dit que cela ne suffisait pas, car il faut se demander aussi si les revenus des industries extractives ont un impact sur les populations».
Pour le militant Ba Aliou Coulibaly, l’impact est minime voir inexistant. «S’il y avait eu une quelconque amélioration, cela aurait été perceptible chez les travailleurs parce que sont eux qui font vivre l’entreprise. Et s’ils ne bénéficient pas d’attention particulière, comment les autres Mauritaniens pourront en bénéficier! Je vous rappelle que ces travailleurs continuent de réclamer des salaires équitables».
La transparence et l'impact environnemental divisent miniers et société civile
Les questions concernant les problèmes de transparence et de l’effet de l’extraction minière sur l’environnement ont peu été évoquées. «Mauritanides n’est pas un forum pour la transparence réelle», regrette le coordinateur technique de «Publiez ce que vous Payez».
Les principaux opérateurs du secteur ont soigneusement affuté leurs arguments, comme a pu le constater un journaliste du Courrier du Sahara. «La SNIM mobilise tous les moyens techniques et humains nécessaires à la promotion du développement durable. Le système de management environnemental de la SNIM, certifié ISO 14001-2004, est basé sur la prévention, l’évaluation et l’amélioration des performances environnementales», pouvait-on lire sur un document de la société remis au Courrier du Sahara par Samba Demba Barry, chargé de la communication à la SNIM.
«Notre société dispose d’un code de responsabilité sociale garantissant les bonnes pratiques dans le domaine social et environnemental. Et nous nous engageons à atténuer au maximum les effets de l’exploitation sur l’environnement», déclare, pour sa part, El Hadramy Ould Sidi, porte-parole de la MCM. Quant à Kinross, un de ses responsables a remis au Courrier du Sahara un exemplaire du «Rapport de responsabilité sociale 2013», un document qui stipule que Kinross est «convaincu» d’avoir «la responsabilité» de mener ses activités d’une «manière sûre» pour ses employés, «qui protège l’environnement et qui soit équitable pour les pays et les communautés hôtes» dans ses zones d’intervention.
Les arguments sont bien connus de la société civile. «Jusqu’à présent, la SNIM, la MCM et Kinross Tasiast récusent tout impact environnemental lié à leur exploitation. Mais ces études ont été faites pour la forme. Toutes les parties n’ont pas été associées», dénonce le représentant de «Publiez ce que vous Payez».
Absence de dialogue direct entre entreprises et société civile
Une chose est certaine. Toutes les parties admettent qu’il y a une insuffisance de dialogue et de communication entre elles. Le secrétaire permanent du comité ITE-Mauritanie propose «davantage de communication» mais aussi «d’augmenter la cadence des rencontres entre l’Etat, les entreprises et la société civile». Un réseau de journalistes a été créé pour aider à l’instauration d’une plus grande transparence dans le secteur.
Mais il reste à surmonter deux obstacles principaux. Le premier concerne la représentativité de la société civile dans le dialogue. A ce jour, seule l’ITE, qui ne fait pas l’unanimité au sein de la société civile, est admise dans le cadre du dialogue formel entre les parties prenantes. Le deuxième obstacle, c’est l’impossibilité pour la société civile de dialoguer directement avec les entreprises. «La loi nous fixe un seul interlocuteur qui est l’Etat», déclare un membre de Kinross questionné par Le Courrier du Sahara.



Source: http://lecourrierdusahara.com

Dimanche 19 Octobre 2014
Boolumbal Boolumbal
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