MOUSSA DIAW: MASSACRE DES NEGRO-MAURITANIENS EN AVRIL 1989



MOUSSA DIAW: MASSACRE DES NEGRO-MAURITANIENS EN AVRIL 1989
Orphelin à 5 ans. Il a connu la faim, la misère, le racisme, la déportation à 14 ans. Ecrivain et médecin de son état, Mama Moussa Diaw est aujourd’hui un adulte épanoui et serein malgré tous ces drames humains qui lui ont enlacé le cou.
Fantasque mais pas bordélique, drôle mais pas comique, chic mais pas dandy, triste mais pas amer... Tenter de cerner Mama Moussa Diaw revient à chercher une botte de foin dans une manufacture d’aiguilles. Mais d’où sort-il son énergie, ce désir de justice et son goût pour le vrai ? Eléments de réponse, dans ce portrait presque trop court pour une vie aussi remplie. La pièce rappelle « une étude de notaire » : plafonds hauts, boiseries, gros dossiers et bureaux imposants. C’est là, à la Librairie Athéna, que l’auteur de 35 ans, aux cheveux relativement peu décoiffés, reçoit. De manière charmante. On retrouve cette courtoisie presque vieille du Sénégal, cette gêne légèrement empruntée, cet humour qui fait sourire plus qu’il ne fait rire, et cet esprit passant des coqs aux ânes qui définissent le personnage « troublé » de Mama.

MASSACRE DES NEGRO-MAURITANIENS EN AVRIL 1989

Par quoi commencer ? Mama Moussa Diaw est l’homme d’une œuvre qui a fait florès en 2007 : Les Otages. Sa verve épingle la Mauritanie raciste, avec un témoignage sur les massacres d’avril 1989, orchestrés par le régime d’Ould Taya sur les populations négro-mauritaniennes . Fustige la bonne conscience politiquement correcte des uns et le dolorisme victimaire des autres. Avec un sens du concret, humour et raisonnements incisifs, le livre ne mâche ni ses mots ni ses idées, quitte à gauchir parfois le trait et l’anecdote. Si l’intitulé lui ressemble, c’est parce que Mama a été au cœur du sujet. Il a vécu ses événements dans sa chair. Sa mémoire revoit les images atroces de ses massacres. L’adulte de 35 ans ressasse les souvenirs de l’adolescent de 14 ans qu’il était. Il dit : « Ils n’avaient jamais été au courant de l’abolition de l’esclavage en Mauritanie, deux cents ans après les Européens. Ils accordaient plus de valeur à la vie d’une chèvre qu’à celle d’un noir. Ces monstres, déversés la veille des massacres par des dizaines de camions remorques, avaient une mission simple et sinistre : Tuer les Sénégalais. Des hommes étaient exécutés d’une barre de fer plantée d’une oreille à l’autre. Ou simplement égorgés. D’autres étaient émasculés et leurs parties génitales portées en triomphe comme un barbare trophée de génocide. »

Ses bras, en perpétuel mouvement, dissimulent un agacement non contenu. A moins que ce ne soit une façon d’accentuer le récit. Accrochant son regard parfois glacial à celui de son interlocuteur, tapant du poing sur la table, ce médecin interloqué par la soudaine cruauté de l’être humain, poursuit, avec un sourire nerveux aux lèvres : « les jeunes filles étaient sauvagement violées. Les femmes enceintes qui espéraient la clémence de ces sauvages déchantèrent très vite. Elles furent éventrées à vif, leurs fœtus extraits et découpés ou fracassés contre un mur. Les mamans agonisaient jusqu’à rendre l’âme avec leur ventre béant d’où s’échappaient les intestins. Elles tentaient désespérément, dans un ultime effort inutile de les remettre en place. » Non ! L’être humain peut être cruel. Mama Moussa Diaw en est témoin. En dépit de ses efforts pour paraître serein, en dépit de sa légendaire attitude zen, son visage s’assombrit après son récit. Pourtant, le mâle ne charge pas lourdement la barque. Il a aussi écrit ce livre pour transmettre un message. « J’interpelle la communauté internationale pour juger les auteurs de crimes, tortures et exécutions extrajudiciaires de l’ancien régime ». Il l’accuse « le régime de Ould Taya » et se voit comme la victime collatérale d’une tragédie nationale. « Ces exterminations se passaient devant l’impassibilité des policiers et même leur complicité car aucun meurtrier, même vu en flagrant délit, n’avait été arrêté, pire, la télévision nationale s’était contentée de montrer les images des blessés revenus du Sénégal, ou des exactions avaient été commises. Une façon de légitimer ces actes de barbarie à moins d’être un appel au meurtre. »

L’ENFER D’UN ORPHELIN DANS UNE FAMILLE POLYGAME

Digression. Est-ce en vertu de ce lien, que Mama Moussa Diaw a tant de facilité, même en interview et peut-être parce qu’il s’y ennuie, à s’offrir en spectacle ? Un discours aussi intense qu’effiloché. Une idée en appelle une autre, qui implique une digression qui emmène un bon mot, qui précède un silence annonciateur d’un nouveau rebondissement. Puis : « comme vous enregistrez, vous allez mettre tout cela en ordre ? » Malgré l’aisance du verbe, il est palpable que l’exercice de l’entretien et ses passages obligés (famille, engagement, politique etc., le tout en une heure et demie) le mettent mal à l’aise. De fait, la rencontre ressemble à une partie de ping-pong à cloche-pied. On trébuche, on renvoie la balle et on en rate beaucoup, il y a des temps morts et il arrive qu’un bel échange se termine mollement dans le filet. Pour lancer la balle, on pourrait dérouler la chronologie, débuter par l’évocation du petit Mama. Ce qui s’avère également un sujet délicat.

Né en 1975 à Leuxeiba 2, en Mauritanie, il sillonne le pays au gré des affectations de son père et atterrit à Rosso Mauritanie. Orphelin à 5 ans, sa mère perd la vie et laisse derrière elle un bébé qui ne survivra pas. Son père, agent de la société mauritanienne d’électricité, s’improvise polygame et par ricochet pourrit la vie du gamin. Souvenir : « cette situation avait des conséquences douloureuses pour moi. N’étant l’enfant d’aucune des coépouses, je devais subir la dictature des marâtres sans rouspéter. Je faisais les commissions au chronomètre. Ce n’était pas la peine d’informer mon père qui ne revenait du travail que vers le crépuscule, épuisé. Les femmes lui préparaient toujours une version officielle et il y aurait des représailles le lendemain dès qu’il repartait. » L’enfance avec son petit frère fut celle d’un adulte. L’innocence vole en éclats. Le cœur rempli de haine et de rancœur : « A dix ans, les marâtres m’avaient classé parmi les adultes, ce qui voulait dire que je devais faire mon linge et le repasser. Dans cette atmosphère je me sentais trop seul avec mon frère d’autant plus que tous les prétextes sont bons pour une fessée…Dans mon cœur la révolte couve. » Enervement. Car visiblement, cet épisode de sa vie le travaille encore. Ces origines auxquelles on le ramène sans cesse appellent une question légitime. Où était sa grande sœur au moment où lui et son petit frère étaient les parents pauvres de la famille ? Il répond : « au moment où nous avions plus besoin d’elle, ma grande sœur avait choisi le camp de notre marâtre, nous délaissant comme si on n’avait pas de lien utérin. »
Aujourd’hui ? « Elle est volontaire dans l’enseignement, il y a toujours une gêne entre nous car je n’arrive pas à lui pardonner. »

LA MISERE DES CAMPS DE REFUGIES


Dans le rôle du refugié dans les camps de Dagana, Mama a dû ravaler son ego après cet affront, reçu sous les tentes. « En Mauritanie, j’avais une chambre rien que pour moi. Je me réveillais dans la même tente que mon père, ses deux épouses, mon oncle, et mes sœurs. Je me suis rendu compte que j’ai tout perdu en un clin d’œil. C’était une humiliation suprême. » L’humiliation, décrite comme une « gifle » ou une « raclée » sera renforcée le jour où il doit manger les restes du chef de brigade de la gendarmerie de Podor. Confession : « j’avais très faim mais j’avais refusé de manger. » Question d’orgueil. ? « Même le chien qu’on avait à la maison, avant de manger, on lui donnait sa part. » Et bang !

Mama passe 14 jours dans les camps. Avant de rejoindre Podor. Il reprend la classe de cinquième au collège de Podor le 9 avril 1990. Juste après les fêtes de pâques. Il se rappelle l’accueil exécrable et sectaire que lui avaient réservé ses petits camarades sénégalais : « les élèves se sont mis à me rejeter en me donnant le surnom de « nar-bi » (maure) J’étais anéanti. Car c’est ce peuple auquel il m’assimile, qui m’avait expulsé en me disant que je n’étais pas des leurs. C’est comme si on traitait un Palestinien de Juif ! » De cette enfance mûre et objectivement plus riche que d’autres, il a gardé l’amour des études. En substance : le désengagement progressif et définitif par rapport aux deux Etats : le Sénégal et la Mauritanie. Le repli sur soi engendré par ce rejet sera compensé par ses bonnes notes à l’école… Les lettres et les chiffres deviennent son seul refuge. L’adolescent en voulait à la terre entière. Mais c’est oublier que le protagoniste de l’ombre de ce récit s’appelle « la société » et n’a rien de l’héroïne d’une telenovela. « Très jeune j’ai toujours su que je ne pourrais pas compter sur la société, elle est parfois cruelle et ne fait pas de cadeau. » Mama n’a reçu qu’une aide de deux cahiers par un oncle, durant tout son cursus scolaire…La messe est dite.

UN MEDECIN ET UN ECRIVAIN EPANOUI

Affirmation pas du tout surprenante venant de celui qui s’est toujours débrouillé tout seul. Cet homme qu’il incarne peu ou prou, en rêve-t-il d’autres ? Oui. Il a voulu devenir médecin, il a réalisé son rêve après le bac scientifique et au bout de 7 ans d’études à l’université Cheikh Anta Diop. « J’avais une sorte d’épée de Damoclès. Car si je redoublais une seule année j’allais perdre ma bourse. Et je ne comptais que sur cela pour m’en sortir. » Et pourquoi la médecine ? « Dans les camps de refugies j’avais une admiration profonde pour les « médecins sans frontière » qui nous aidaient sans rien attendre en retour. Je me suis dit que je rendrais la monnaie quand je serai grand. » Dans la foulée, il a rencontré son âme sœur, une étudiante en pharmacie. Attendri par cette femme il se marie en 2005 avec une fille de 4 ans au milieu. « Elles sont mon bonheur… »

Qu’est-ce qu’on voit ? Qu’est-ce qu’on regarde ? Que l’on connaisse ou pas le « secret » de cet homme qui a tant souffert de la folie humaine. C’est un homme épanoui du haut de son mètre 82 qui a un nouveau projet de vie : la sortie prochaine de son nouveau roman, « les châtiments ». Le roman raconte L’univers des talibés, enfants de la rue et de ses corollaires avec un fil conducteur : les violences faites aux enfants. Le garçon pas si drôle, pas si fantasque, pas si fragile, n’est quand même pas un Rambo caché. Un dandy ? Mama Moussa Diaw n’en est pas un, malgré sa chemise sobre, malgré cette allure dépenaillée et étudiée. Il parle comme si tout était simple. Sa propre vie est très compliquée, mais c’est sa vie. Il la trouve normale.



Aïssatou LAYE

Source: Flamnet-forum

Jeudi 8 Juillet 2010
Boolumbal Boolumbal
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