MAURITANIE : Situation tendue



L'Eveil Hebdo - Ce mois de mai aura été particulièrement rude pour les partisans du pouvoir qui se sont toujours évertués à dresser un tableau idyllique de la situation du pays qui, selon eux, était la «meilleure dans le meilleur des mondes possibles».
Pourtant, entre le «dérapage» du Président de la République à Néma, au sujet de la natalité des descendants d’esclaves, le rapport Philippe Alston, Expert des Nations Unies, qui a mis le doigt sur «l’exclusion politique et économique de plus des deux tiers de la population» du pays, la fronde des sénateurs, qui digèrent mal l’annonce de la suppression de leur Chambre, mais surtout les attaques proférées à leur encontre par leurs frères de parti …il n’y a pas de quoi être optimiste.

Si on y ajoute la libération de Biram, l’absence de dialogue politique, l’explosion prévisible et inévitable de la «bombe aurifère»….

Près de deux ans après la réélection du Président Mohamed Ould Abdel Aziz pour un second et – officiellement – dernier mandat, la Mauritanie n’arrive toujours pas à sortir de la crise. Sans perspective politique, vu l’absence de dialogue, moteur indispensable pour un hypothétique consensus sur les grands problèmes nationaux, les autres dimensions de la crise, économiques, sociales et sécuritaires, la patrie du million de poètes poursuit sa course vertigineuse et démente vers l’inconnu.

La persistance de la crise politique s’exprime, de manière éloquente, à la lecture des rapports, de plus en plus tendus, entre les acteurs classiques que sont le pouvoir et l’opposition. Entre les deux, une polémique toujours stérile, sans aucune perspective de dialogue fécond. La mouvance majoritaire attend une reconnaissance formelle de la «régularité» de la victoire de juillet 2014.

Un préalable que l’opposition considère comme «une manœuvre dilatoire» de la part d’un pouvoir dont le souci majeur n’est, en aucune manière, la solution des problèmes du pays. Pour celle-là, il ne s’agit que d’accaparement des prérogatives de la puissance publique pour récompenser la clientèle politique par une distribution, complaisante, des postes et autres prébendes. Le pouvoir est ainsi accusé de «vider l’administration de ses cadres compétents et expérimentés, systématiquement remplacés par des néophytes» et de promouvoir «l’assujettissement, devenu un instrument» de l’exécutif.

Il faut ajouter, à cette donne politique bloquée, une morosité économique et sociale persistante. Le dernier rapport des Nations Unies sur le Développement Humain, place la Mauritanie au 163ème rang sur 193. Celui de Doing Business 176ème sur 189. La Fondation Mo Brahim place la Mauritanie à la 39ème place des pays en situation de guerres !

Les revendications se multiplient et se diversifient

Il n’est donc pas surprenant que dans le pays, les protestations s’étendent et se multiplient depuis plusieurs mois de façon horizontale pour inclure toujours plus de secteurs sociaux. Et, quoi qu’on dise, l’étendue et la simultanéité du large mécontentement populaire sont sans précédent dans l’histoire du pays. Certes, pour le moment, il s’agit davantage d’une fièvre revendicative plutôt que d’une révolte collective.

Les modes d’action privilégiés par les mouvements sociaux de plus en plus diversifiés demeurent largement pacifiques mais souvent d’une grande intensité. Jusqu’ici, ni les tentatives d’une opposition certes fragilisée, ni les velléités de réprimer les manifestations et les grèves, ni même les compromis sectoriels négociés ici ou là entre administration et protestataires ne semblent affecter l’ampleur des mouvements dans le sens d’une radicalisation ou, au contraire, d’un essoufflement de la contestation.

On assiste plutôt à une extension des couches sociales touchées, doublée d’une transformation continue des modes d’action. Autrement dit, le pays ne vit pas encore dans un état de révolte brusque et massive. En revanche, depuis quelques mois tout se passe comme si toute la société mauritanienne avait décidé de descendre dans la rue et d’occuper les espaces publics. Les Mauritaniens découvrent les joies et les misères de la revendication collective ; ils semblent avoir décidé de protester dans le même temps mais pas encore tous ensemble.

Ce manque de convergence des demandes et des revendications constitue sans doute une différence formelle qui distingue le cas mauritanien des révoltes que l’on a vues dans certains pays arabes. Pour le reste, il y a de nombreux points communs décisifs : une formidable diversité sociologique des révoltés, une étendue nationale des protestations, des répertoires d’action à la fois classiques (sit-in, grèves, marches, manifestations) mais également originaux : les Mauritaniens ont littéralement envahi l’Etat et ses bâtiments administratifs.

Camper aux abords des bâtiments publics ou dans l’enceinte du palais de justice ou devant la présidence est même devenu une pratique routinière pour des mouvements aussi divers que celui des employés temporaires du secteur public ou des sociétés parapubliques, des militants de toutes sortes et des jeunes diplômés sans emploi, des femmes, des retraités, des handicapés… En plus des revendications ponctuelles, des questions de sociétés plus larges et plus complexes ajoutent à la cacophonie et risquent à terme de compliquer davantage les fractures structurelles de la société mauritanienne ou, à tout le moins, de les faire ressortir.

Ces questions de société sont de plus en plus pressantes et leurs porteurs s’enhardissent de jour en jour en posant les problèmes du pays en termes exclusivement raciaux ou ethniques. A cet égard, la question de l’esclavage et du sort de l’importante communauté d’origine servile (les haratines) ou encore le partage des ressources entre les composantes ethniques arabophones et africaines du pays sont des thématiques lourdes et récurrentes. Loin d’être cantonnés au second plan, ces enjeux semblent se greffer de plus en plus sur une situation sociale qui les recoupe : la majorité écrasante des parias de la société mauritanienne est d’origine servile.

Même la Majorité s’y met !
L’impatience exprimée dans tout le spectre de la classe politique, y compris au sein d’une majorité parlementaire supposée jusqu’ici aux ordres, montre que la situation est plus grave que ne veulent bien l’admettre le Chef de l’Etat et son entourage immédiat.

En effet, les manifestations se conjuguent à d’amples manœuvres sur la scène politique. Ces dernières traduisent une circonspection croissante des sphères économiques et politiques vis-à-vis du régime et de son Président accusé de gestion autoritaire, de manque de volonté et de concentration voire de tentative d’accaparement des ressources.

La centralisation du pouvoir d’Etat est jugée bien trop grande et contreproductive, y compris par les alliés du régime. Le Président est réputé avoir enlevé toutes prérogatives à ses ministres et administrations publiques, ce qui le met constamment en première ligne. C’est ce qui explique que la porte du palais présidentiel soit devenu le lieu de protestation privilégié, l’endroit où les manifestants élisent domicile, passent des nuits blanches, campent jour et nuit.

Même les caciques du parti du Président, l’Union Pour la République (UPR), sont excédés par le mépris que leur témoigne leur champion qui répète à qui veut bien l’entendre qu’il doit s’occuper lui-même de tout. La dernière épine aux pieds du Président Aziz – et non la moindre - est la grogne des sénateurs. Faut-il rappeler que le coup d’Etat contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi avec pour origine la fronde d’un «bataillon parlementaire» dirigé à l’époque par un certain …. Ould Maham !

Sikhousso

Source: L'Eveil Hebdo

Mercredi 25 Mai 2016
Boolumbal Boolumbal
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