Les terres du waalo



Un extrait sur les terres du waalo que je vous demande de lire avant la suite
«Le manifeste du negro-mauritanien opprime. Février 1966-Avril 1986. De la guerre civile à la lutte de libération nationale. Avril 1986 » (Pp : 22-28)

Nous avons dit que l'objectif du Système Beydane était de contrôler systématiquement toutes les ressources de l'économie mauritanienne : banques, commerce, pêche, mines. Ayant compris l'enjeu économique que représentera l'agriculture en Mauritanie dans la perspective de l'après barrage OMVS, il s'est attelé depuis quelques années, dispositif juridique à l'appui, à une réforme foncière en vue de contrôler les fertiles terres alluviales du fleuve Sénégal.
A/ LES TERRES ALLUVIALES DU WAALO : ENJEU POLITIQUE ET REFORME FONCIERE
L'histoire des terres du Waalo se confond avec celle des populations Sooninke, Wolof, Haalpulaaren qui habitent dans cette partie de la vallée du Sénégal. Malgré la sécheresse, les terres du walo demeurent encore un potentiel économique inépuisable, capable de nourrir l'ensemble des populations de la vallée du Sénégal, vivant en Mauritanie, au Sénégal et au Mali. Il suffit de les réexploiter avec une utilisation rationnelle de la terre et de l'eau. Les pays concernés, cherchent, par le moyen de l'OMVS (Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Sénégal), à résoudre ce problème.
Au départ, le régime de Moktar O/ Daddah avait adhéré à l'OERS (Organisation des Etats Riverains du fleuve Sénégal) devenue plus tard OMVS pour des raisons essentiellement de politique sous-régionale. Le facteur économique ne pouvait être une préoccupation de ce régime et de la classe politique beydane en général, qui voyaient en cette organisation sous-régionale un moyen de développement économique et social du Sud. D'où le slogan "saborder l'OMVS, parce qu'elle ne profitera qu'aux Noirs". La théorie du Daddahisme sur le développement du Sud était connue : un Sud développé habité par des Noirs serait une menace politique car le Sénégal n'a jamais définitivement renoncé à ses anciens territoires de la rive droite. Un territoire pauvre n'est guère alléchant pour les esprits irrédentistes. Il faut donc maintenir un Sud appauvri, démuni et dépendant économiquement du Nord. C'est dans cette optique que l'on a orienté vers le Nord ou annulé de nombreux projets de développement industriel et agricole destinés initialement à la vallée du Sénégal :
- usine de sucre installée à Nouakchott au lieu de Kaédi,
- construction d'une route bitumée reliant Rosso à Sélibaby,
- investissements agricoles pour le Gorgol détourné vers la fameuse "opération charrue" en 1965 dans les Hodh,
- investissements de petits et moyens périmètres détournés en faveur de projets de reconstructions de palmeraies en Adrar et au Tagant, etc. ....
N'eut-il été l'insistance de la RFA, de la Banque Mondiale et de la république populaire de Chine, le casier rizicole de Rosso, le PPG de Kaédi et le CPB (le casier pilote de Boghé) ne seraient jamais aménagés.
A partir de 1978, un groupe de pression opposé à la participation de la Mauritanie à l'OMVS s'est constitué. Ses principaux dirigeants étaient : Mrs. Mohamed O/ Seybout (alors conseiller juridique de l'OMVS), Youba O/ Benani (alors Directeur de la Société Nationale de Développement Rural - SONADER), Mohameden O/ Baba (actuel directeur de la société susnommé), Mokhtar O/ Zamel (alors ministre du Plan), Sid'Ahmed O/ Bneïjara (alors ministre de l'économie et des finances) et Ely O/ Alaf, à l'époque Secrétaire Général de l'OMVS. Ce groupe avait publié un mémorandum qui avait la prétention de démontrer le peu d'intérêts économiques que la Mauritanie trouverait au sein de cet organisme. Selon ce document, seuls le Sénégal et le Mali allaient réellement en bénéficier.
En contrepartie du départ de la Mauritanie de L’OMVS., les pays arabes (Libye, Irak, Koweït) et le FADES. (Fonds Arabe de Développement Economique et Social) proposèrent de financer des aménagements agricoles dans des régions à dominante ou exclusivement beydanes : l’Irak avec le projet Aftout, le La SAMALIDA (société Mauritano-Lybienne de Développement Agricole) qui a confisqué tout bonnement des terres à des personnes de la région de Rosso, le FADES avec la reconstitution des oasis en Adrar, en Assaba et au Tagant. C’est dans ce cadre que le Secrétaire Général de l’AODA. (Organisation Arabe pour le Développement Agricole) a effectué une visite de travail à Nouakchott dans le courant du mois de novembre 1985.
C’est la ruée des organismes agricoles arabes vers les terres du Waalo.
Mais les tentatives pour faire quitter la Mauritanie de l’OMVS sont demeurées vaines jusqu’à ce jour. La menace d’un conflit racial et les conséquences politiques graves pour une "Mauritanie beydane" dans la sous-région sont les principales raisons qui ont empêché jusque là les gouvernements beydanes à franchir le Rubicon.
D’ailleurs la sécheresse et la famine vont faire évoluer l’opinion beydane sur les aménagements agricoles dans le sud et sur l’OMVS. Cette sécheresse a provoqué aussi un important mouvement des populations sinistrées vers les centres urbains administratifs et économiques. La vallée du Sénégal (les deux rives) est une des régions d’accueil des populations nomades et leurs troupeaux. Cette arrivée massive de populations allogènes devient une menace politique et économique pour un Sud qui se caractérise par l’exiguïté des espaces utiles qui formaient déjà, avant la sécheresse, un fragile équilibre avec ses populations autochtones.
La famine, l’exode et la fixation des nomades arabo-berbères et leurs troupeaux dans le Sud sont donc les données nouvelles qui vont amener la classe politique et intellectuelle beydane à modifier son opinion sur l’OMVS et ses aménagements : la théorie de l'espace vital est née. Cette classe est d'accord pour la création des grands et petits aménagements agricoles dans la vallée, à condition qu’ils soient gérés par la SONADER (puisque cette société est contrôlée entièrement par des éléments beydanes) ; elle est également d’accord pour que la Mauritanie retrouve pleinement et entièrement sa place au soin de l’OMVS. Mais le préalable de tout ceci est la redistribution des terres alluviales du Sénégal, afin que les populations beydanes en bénéficient !!
Pour récupérer la plupart de ces terres, on recoure à trois moyens :

1/ - la réforme foncière,
2/ - les rachats des terres grâce à l’argent "prêtés" par les banques de l’Etat, le Fonds National et certains pays arabes à des commerçants et des éléments issus de la classe politico-militaire.
3/ - l’argumentation historique pour démontrer l’antériorité du beydane en terre mauritanienne.
I°/ La réforme foncière
Pour légaliser cette confiscation, le gouvernement de Haïdallah promulgue l’ordonnance n° 83 127 du 5 juin 1983 portant réorganisation foncière et domaniale.
Cette "réforme foncière" concerne particulièrement les terres de la vallée du Sénégal qui représentent la quasi totalité des surfaces aménageables indispensables à l’autosuffisance alimentaire du pays. Mais derrière ce slogan, elle vise un double objectif.
a/ économique par la confiscation légalisée des terres au bénéfice des populations beydanes, particulièrement sa bourgeoisie compradore à qui on permet le rachat des terres
b/ politico-social en essayant d’orienter les légitimes et irréversibles revendications sociales et économiques, (mais trop inquiétantes pour le Système Beydane) des Haratines vers ces terres du Waalo, pour susciter des contradictions antagonistes entre les composantes de la Communauté négro-mauritanienne.
On saisit difficilement cet altruisme inhabituel des Beydanes qui font miroiter les terres aux paysans haratines. On se pose la question de savoir pourquoi les oasis et les grara du Nord, du Centre-Est et de l’Est qui ont été cultivées par des générations d’esclaves dont ces paysans haratines sont les descendants ne sont pas intégrés dans ces champs de miroitement.
2°/ Le « rachat » des terres
L’ordonnance n° 83 127, notamment en ses articles 1, 3, 9, 11, 12 et 14 favorise le "rachat" des terres. A la lecture de cette ordonnance, on demeure convaincu que le législateur (qui ne peut être qu’un Beydane) ignore toutes les réalités civilisationnelles d’une société (Haalpulaar, Wolof, Soninké) pour qui la terre est à la base de la formation de sa structure socio-économique, politique et culturelle.
Il existe deux types d’exploitants qui soi-disant achètent des terres :
- des éléments de "la classe prétorienne" comme les Lt colonel Boukhreiss, O/ Alioune N’Diaye, Djibril O/ Abdallah, le commandant O/ Dey et les grands commerçants, d’une part ;
- les "coopératives agricoles" beydanes qui, dans la réalité sont des commerçants (petits et moyens) disposant de moyens financiers plus faibles, d’autre part.
Les premiers font exploiter les terres confisquées par des ouvriers agricoles (pour la plupart des Haratines, mais on trouve de plus en plus de Walo-Walo et de Haalpulaar).
Les seconds, les "coopératives agricoles" beydanes assimilent officiellement leurs ouvriers à des coopérateurs associés, pour détourner l’esprit de la loi 67/71 du 18 juillet 1967 portant statut de la coopération.
Cette néo bourgeoisie bénéficie des complicités financières au niveau des banques, du Fonds National de Développement et des dons arabes pour "racheter" les terres et les mettre en exploitation.
Nous saisissons l’occasion pour rappeler aux populations du Sud qu’il est formellement interdit de vendre la terre. Boycottez, bannissez, tuez s’il le faut tous ceux qui encouragent la vente des terres. Détruisez, brûlez les biens de ces étrangers qui viennent aménager sur vos terres. La terre appartient au village. La seule réforme foncière acceptable pour nous est celle qui permet la redistribution de la terre proportionnellement aux besoins entre tous les membres du village.
Les pénibles conditions économiques dues à la sécheresse font des paysans du Sud des proies faciles face à la rapacité de cette bourgeoisie politico-militaro-commerçante. Le paysan du Sud, victime de malnutrition se laisse vite tomber dans le mirage des sommes, mêmes modiques, que ces requins font agiter devant ses yeux.
A cette occasion, nous stigmatisons la politique discriminatoire que le Commissariat à l’Aide Alimentaire pratique à l’endroit de la Communauté négro-mauritanienne. La Mauritanie bénéficie d’une aide alimentaire internationale destinée à l’ensemble de sa population victime de la sécheresse et de la famine, et non presque exclusivement à la population beydane. Le C.A.A. est dirigé par des éléments baassistes et nassériens chauvins qui ne méritent aucunement la confiance des donateurs étrangers. Les régions à dominante arabo-berbère regorgent de produits alimentaires provenant de ces dons. Les campagnes du Sud sont celles qui reçoivent de l’aide une fois tous les deux (2) ou trois (3) ans. L’administration territoriale dans le Sud, contrôlée presque exclusivement par des Beydanes, y joue un rôle fondamental en collaboration avec le C.A.A. C’est elle qui, en effet, prétend, dans ses correspondances adressées à cette institution gouvernementale, que les populations du Sud ne sont pas sinistrées, pour qu’elles ne bénéficient pas d’une aide alimentaire. Les autorités gouvernementales concernées et le C.A.A. restent insensibles bien sûr aux protestations des populations noires.
Et pourtant, une partie de cette aide alimentaire continue d’être acheminée par des moyens détournés, vers le Sahara Occidental.
Cette situation nous oblige à réclamer la présence de représentants des organismes donateurs pour superviser et contrôler la distribution de leurs dons à l’ensemble des populations mauritaniennes sans discrimination raciale et culturelle.
c/ L’argumentation historique
Depuis quelques années des théories historiques continuent d’occuper une place importante dans la recherche de l’argumentation beydane pour chasser les Noirs du Sud et y installer cette population beydane victime de la sécheresse celle-ci, comme on le sait, est en train de chasser une importante population nomade du Nord, et du Centre-est vers le bassin du fleuve Sénégal. Populations et bétail, émigrent vers les zones d’occupation permanente où l’agriculture est pratiquée. L’exiguïté de l’espace vital et le déséquilibre démographique ont créé une situation de conflits raciaux permanents avec destruction de cultures, agressions armées contre des paysans isolés, suivies souvent de mort d’hommes (incidents de Lexeïba dans le Gorgol en 1985). Toute réaction de défense légitime de la part des Noirs est réprimée par les autorités régionales (gouverneurs, préfets, chefs d’arrondissements, commandants de brigade de gendarmerie beydanes). Tant et si bien que les paysans n’osent guère s’attaquer au bétail destructeur. Ils n’osent même plus protéger leurs cultures par des clôtures en fil de fers barbelés . Le dromadaire maure est devenu le fléau numéro un des cultures du Jeeri et du Waalo, bien avant les phacochères, les cynocéphales et les sauteriaux.
Certaines familles nomades se sédentarisent dans les villes de Rosso, Bogué, Kaédi, Bababé, M’Bagne, Magama, Sélibaby, Gouraye etc..... Les administrateurs beydanes leur distribuent gratuitement des lots de terrains de construction sur les terres de culture des Kollade et du Jeeri (à Boghé, Kaédi, Sélibaby, Bababé, etc.) : ce sont les Jedida. Mais cela ne suffit pas. On cherche maintenant à confisquer les terres de culture dont les familles propriétaires sont connues depuis des siècles pour les distribuer aux nouveaux venus sous prétexte qu'ils sont victimes de la sécheresse. Mais, les Noirs ne le sont-ils pas ? Les administrateurs interprètent malhonnêtement l'ordonnance en leur faveur ; son article 1er, par exemple qui prétend que "la terre appartient à la nation et tout mauritanien, sans discrimination d'aucune sorte, peut, en se conformant à la loi, en devenir propriétaire, pour partie".
Face aux réactions de défense des intérêts vitaux des Noirs, l'intelligentsia beydane se met à inventer des théories historiques pour justifier les prétentions de sa communauté :
"Les Noirs de Mauritanie sont des descendants d'anciens footballeurs immigrés du Mali, du Sénégal et de Guinée" . "Les Beydanes sont les Palestiniens de la Mauritanie dont la terre a été spoliée par les Noirs qui sont leurs Juifs"!!. "La Mauritanie, seconde Palestine de la patrie arabe" !! (Journal Watan El Arabian). "Les Noirs sont des Sénégalais qui ont envahi la Mauritanie" [propos d'un étudiant nassérien lors de la conférence du Directeur de l'Institut des Langues Nationales (ILN) sur les langues nationales en 1983 à l'ENA]. "Si les Noirs ne sont pas contents, ils peuvent rentrer chez eux, au Sénégal" (propos que l'on entend souvent dans les taxis . "Les Noirs sont des Sénégalais qui nous envahissent dans nos administrations. Ils sont jusque au sein du CMSN" !! (Propos tenus par le Commandant Ahmed Mahmoud O/ Deh, le hérault de la classe politico-militaire et actuel Permanent du CMSN).
On retrouve ces théories historiques jusque dans les enseignements d'histoire et de géographie au Koweït. Toutes ces idées rappellent, à n'en pas douter, celles d'un Cheikh Sidya Baba qui, dans une lettre adressée au Gouverneur Coppolani réclamait "... le refoulement des Noirs sur la rive gauche, car les terres que ceux-ci occupent sur la rive droite appartiennent aux maures". Selon toutes ces versions, la Mauritanie était terra ex nihilis avant l'arrivée des Arabo-berbères. Paradoxale identité avec la théorie sur l'antériorité de l'occupation de l'espace en Afrique du Sud développée par l'Apartheid.
En tout cas, la Communauté négro-mauritanienne doit prendre très au sérieux toutes ces élucubrations historiques qui sont, malgré tout, un apport logistique pour le programme de confiscation des terres alluviales du Sud.
En 1960, nous avions pris pour des élucubrations idéologiques et culturelles les revendications pour l'arabisation d'une Mauritanie que les Beydanes assimilaient déjà au monde arabe. En 1985, voilà où nous en sommes : une Mauritanie arabisée à 95 % et les Noirs menacés d'expulsion de leur patrie historique.
Quelqu'un a écrit que "... Dans les sociétés de classes (pour la Mauritanie, nous pouvons parler de races), l'histoire fait partie des outils par lesquels la classe dirigeante maintient son pouvoir. L'appareil d'Etat cherche à contrôler le passé à la fois au niveau de la politique pratique et au niveau de l'idéologie. L'Etat, le pouvoir organisent le temps passé et façonnent son image en fonction de leurs intérêts politiques et idéologiques".

Ibiraahiima Abuu SAL/ 2014, seeɗto, 06 dewo biir (dimanche, 06 avril 2014)

Source: Ibiraahiima Abuu SA

Mardi 8 Avril 2014
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