Le Problème des Haratines n'est plus un problème d'Esclavage



« Les Haratines, ces oubliés de la république » : ce bout de phrase résume parfaitement la situation présente des Haratines. Les idées développées par Ould Beibakar au sujet des Haratines sont, pour la plupart, de mon point de vue, défendables. En quelques lignes voilà ce qu’elles m’inspirent.

Tout pouvoir, même le plus démocratique, ne se permet jamais de se créer des problèmes qu’il aurait pu contourner ou éviter. Cette règle s’applique parfaitement aux différents pouvoirs Mauritaniens depuis l’indépendance du pays et même avant.

Chaque pouvoir, dans chaque période, fait habituellement face à une situation comportant un certain nombre de problèmes cruciaux qui exigent des solutions rapides. Et comme la politique est l’art de la recherche de solutions aux problèmes globaux et souvent pressants, aucun gouvernement ne va se permettre de se créer de nouveaux problèmes ou de réveiller d’autres encore endormis.

C’est pourquoi, je considère, personnellement, que poser aujourd’hui le problème de l’existence de l’esclavage dans les autres communautés négro-africaines, au moment où les concernés ne manifestent aucune velléité de le poser, relève de la maladresse ou d’une volonté inavouée de vouloir noyer le problème posé avec pertinence des anciens esclaves de la communauté maure.

Le problème de la décolonisation n’existait pas avant la prise de conscience des peuples colonisés et l’engagement de leur lutte pour la libération.

Les haratines ou les esclaves d’hier ou les deux à la fois, à cause de plusieurs siècles de bannissement et de frustration, peinent à pouvoir poser un problème réellement pressant pour nos différents pouvoirs.

Au temps du pouvoir du président Mokhtar, la situation générale des Haratines se caractérisait par l’impact négatif d’un passé récent de domination esclavagiste. Leur début d’éveil demeure encore insignifiant.

Le pouvoir du président Mokhtar était accaparé par les multiples problèmes posés, dans un premier temps par la mise en cause de la naissance même de la Mauritanie, puis, dans un deuxième temps, par les difficultés posées par une décolonisation inachevée et les tracasseries de clans tribaux, soucieux de préserver leurs privilèges héritées du système colonial.

L’assise sociale du régime du président Mokhtar est essentiellement constituée des représentants de ces clans foncièrement esclavagistes.

Concernant la recherche de solution à la question Haratine, sa marge de manœuvre était donc presque nulle. Il l’évoquait dès fois à des fins de consommation locale ou de règlement de compte avec tel ou tel clan féodal.

Comme le problème ne se pose pas avec acuité, c’était, stratégiquement parlant, de la maladresse de le poser pour la simple raison que le contexte socioéconomique de l’époque ne lui permet pas de faire face aux conséquences d’une volonté réelle de le résoudre.

Quand aux différents régimes militaires qui vont se succédés après, tous, sans exception, étaient accaparés par des préoccupations qui n’ont rien à avoir avec la question Haratine.

Des militaires de formation, esquintés par une guerre fratricide, qu’aucun intérêt national ne peut justifier, leur gestion de la chose civile ne peut pas être idéale. Tous se démènent pour d’abord trouver des solutions, même provisoires, à des problèmes cruciaux qui menacent souvent leur existence.

En réalité, même à supposer que la volonté y est, les pouvoirs militaires qui ont suivi le 10 juillets 1978, ne possèdent nullement les moyens financiers pour indemniser les esclaves ou leurs maîtres. Ils n’avaient que la belle parole et les jolis textes et ils en ont distribués suffisamment.

La malchance, peut être,des pouvoirs militaires est de voir le problème Haratine émerger à la surface au tout début de leur règne. Ce n’était pas le fait du hasard.

Ce qui caractérise cette période, c’était surtout la faiblesse des institutions étatiques et l’émergence des égoïsmes personnels et de clans, consécutifs à l’affaiblissement des deux forces majeures aux ambitions modernistes et unitaires pour le pays, le MND et l’élite intellectuelle qui pivotait autour du président Mokhtar.

Les courants particularistes, surtout racistes et tribalistes, occupèrent aussitôt le terrain. Le problème numéro un des détenteurs du pouvoir est la recherche de solution en vue de partager le peu de moyens dont dispose l’Etat à des clans véreux et impitoyables.

La naissance d’Elhor, en ce moment, fut dictée par un début d’éveil d’une élite Haratine qui tient à avoir sa part du gâteau. Se taire, à l’époque, c’est se faire oublier à jamais. Aucun pouvoir, civil ou militaire, ne pouvait envisager en aucun moment de transformer les féodaux en abolitionnistes.

Ce sont ces mêmes féodaux esclavagistes qui ont réussi à étouffer toutes les interprétations religieuses à caractère abolitionnistes des Oulemas éclairés du passé. Concernant Ould Sidi Yahya, je pense qu’il a beaucoup contribué à répandre la bonne morale, mais la problématique Haratine est quasi absente de ses prêches.

Le colonel Ould Beibakar loue le silence et la réussite sociale d’une certaine élite Haratine, tout en fustigeant et diabolisant ceux qui ont osé dénoncer publiquement la situation déplorable du monde Haratine.

Il prône l’école moderne comme unique solution pour l’émancipation des Haratines. Je rappelle à Ould Boueibakar que des problèmes sociaux aussi complexes et aussi compliqués comme la question Haratine ne peuvent jamais être résolus par le silence.

Je lui rappelle également que les quelques pas, timides de surcroit, franchis dans la solution de ce problèmes sont exclusivement le fruit de la lutte ouverte et (non pas silencieuse) et des sacrifices des concernés et leurs représentants, y compris les « opportunistes », « marchands de la cause » dont il parle.

Je donne raison à Ould Boueibakar, quand il propose l’école comme solution. Mais de quelle école s’agit-il ? J’espère qu’il ne nous propose pas ce qui reste de l’école publique : une coquille vide.

Il sait que la grande masse des Haratine, y compris une bonne partie de « l’élite silencieuse », n’ont pas de moyens pour accéder aux écoles privées respectables ou aux quelques écoles d’excellence.

En suite, quelle solution peut on envisager pour l’emploi et la promotion des quelques cadres qui réussissent à franchir les nombreuses difficultés rencontrées ? Ils feront inévitablement face aux clans des notables et de « féodaux non abolitionnistes » qui veillent sur « la bonne marche » de tout pouvoir qui s’installe dans ce pays.

Plusieurs décennies de sécheresse ont détruit systématiquement l’économie rurale, libérant automatiquement des milliers d’esclaves. Ceux-ci regagnèrent aussitôt les centres urbains à la recherche du travail rémunéré.

Les élites intellectuelles progressistes vont les accueillir, les encadrer et leur insuffler un début de prise de conscience, les préparant ainsi à un éveil plus accentué dans les décennies suivantes. D’une couche sociale en soi ils évolueront progressivement en couche sociale pour soi, pour paraphraser un auteur célèbre.

Après donc les effets de plusieurs décennies de sécheresse, après également une évolution sociale et culturelle certaine, l’esclavage traditionnel ne constitue plus le problème majeur du monde Haratine. Je considère donc qu’il devient absolument inutile de continuer à vouloir limiter coute que coute la question Haratine à un problème exclusivement d’esclaves et la nécessité de se libérer d’un statut esclavagiste qui devient absolument marginal.

D’autres font valoir la promotion des Adwabas par la création des petits projets. Petits, moyens ou grands projets dans des villages abandonnés dans la plus part des cas par leurs habitants au profit de petits emplois au rendement quotidien en ville, ne solutionnent aucun problème.

Aujourd’hui tout le monde se rend compte que l’Etat est presque l’unique source de solutions aux problèmes que peut poser une communauté ou un groupe social déterminé. Il est le seul en mesure de jouer le régulateur des équilibres socio-économiques dans le pays.

Ce fait explique le fond de tous nos problèmes actuels. Jouons donc le sérieux avant qu’il soit trop tard. Tout palabre sur la légalité ou l’illégalité, sur l’existence réelle ou fictive, de l’esclavage, devient absolument inutile, pour la simple raison que le mode esclavagiste, cesse d’exister, surtout comme source de vie, même d’une famille rurale.

Faisons face avec courage à notre vrai problème : le partage équitable du gâteau national. C’est l’unique moyen d’assurer une bonne formation à nos générations futures et de garantir une paix civile durable pour notre pays.

Il s’agit, notamment, de faire réellement en sorte que les Haratines cessent d’être « les oubliés de la République », considérant qu’ils sont les seuls citoyens qui n’ont pas de patrie de rechange, comme l’a su bien dit Ould Boueibakar.

C’est aussi l’unique moyen pour qu’ils puissent jouer pleinement leur rôle de facteur d’unité de notre pays et de notre peuple. Pas de noblesse, ni de dignité, ni surtout de fierté, dans la négation de soi et le dénuement complet.

Ahmed Salem O Elmoctar dit Cheddad ( Observateur indépendant)


Source : Ahmed Salem O Elmoctar

Jeudi 3 Septembre 2015
Boolumbal Boolumbal
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