Dossier indépendance 2015: Le récit d'une déportée mauritanienne au Sénégal



Dossier indépendance 2015: Le récit d'une déportée mauritanienne au Sénégal
Dicko Guéye, ex-déportée mauritanienne au Sénégal par les autorités de son pays suite aux événements de 89 a fait à Alakhbar le récit de son calvaire, à l’occasion de la célébration des 55ans d’indépendance de la Mauritanie.

Son mari, lui commerçant a été dépouillé de tous ses biens, torturé puis extradé de force vers le Sénégal.

Je m’appelle Dicko Guèye. Je suis née en 1959 à Kéadi.

Je me suis installée avec mari à Nouakchott dans les années 80. Il tenait un fleurissant commerce. Il voyageait entre Nouakchott et Nouadhibou pour livrer sa marchandise.

Mon mari a été arrêté à Nouadhibou avec les premières vagues arrestations des civils en 89. Des éléments des forces de l’ordre sont partis chez celui qui l’hébergeait pour l’arrêter. Ils l’ont sauvagement brutalisé ensuite ils l’ont dépouillé de son argent, de ses marchandises et ses objets de valeurs.

Ils voulurent l’embarquer de force, il a résisté refusant d’être malmené. Voyant sa combativité, ils s’acharnèrent en le rouant des coups. Il se retrouva avec une main fracturée.

Ils l’embarquèrent en le menaçant de la déportation forcée. Ils l’obligèrent de donner son adresse à Nouakchott pour m’embarquer. Il finira sous la torture par obtempérer.

Je fus surprise, un matin, à 4 heures du matin, par une visite des forces de l’ordre. Ils tapèrent violemment la porte de ma chambre à coucher en hurlant mon nom.

Impatients, comme, je prenais le temps pour habiller, ils redoublèrent la pression en cognant leurs fusils sur ma porte. Ainsi, ils enfoncèrent la porte et simultanément ils me demandèrent mon identité que j’ai déclinée en leur présentant ma carte d’identité nationale.

Puis, l’arme braquée sur moi, ils me forcèrent d’embarquer pour être déportée au Sénégal. Je leur ai dit que je suis Mauritanienne et que je n’avais rien à faire au Sénégal. Ils hurlèrent que j’allais rejoindre par la force mon maudit mari de l’autre côté de la rive du fleuve.

Ainsi, je fus embarquée brutalement dans un bus. Je n’étais pas la seule…j’entendais des gens qui se plaignaient. Ils étaient entassés…J’entendais des personnes geindre. On suffoquait. Je demandais aux gens notre destination, il me disait : « qu’on est déporté vers le Sénégal ». J’ai rétorqué que je ne suis jamais sortie de la Mauritanie.

Alors une fois ayant traversé, nous avons été reçus par Amadou Malick Gaye, le représentant du haut commissariat des réfugiés. Il s’est particulièrement intéressé à moi. J’étais hébétée et perdue. Je suis venue mal habillée. Il m’a longuement questionnée notamment sur ma destination. J’ai répondu que j’ignorais. Il a pris son argent et m’a confié à un chauffeur pour qu’il me dépose au camp des réfugiés de Dagana.

Une fois arrivée, je me suis intégrée dans la vie des réfugiés. Un des responsables du camp à informer mon mari lui disant qu’il y a de nouveaux arrivants et que parmi eux, il y a une kéadienne. Il a commencé à me chercher jusqu’à ce qu’on s’est retrouvés. Puisqu’il ne cessait de leur parler de moi.

La joie des retrouvailles n’a pas duré. mon mari et moi étaient confrontés à la misère et à l’exil. nous vivions le mal du pays. Nous subissions l’injustice, la barbarie et la déportation. nous étions dépendants des aides du HCR et on était nombreux. Les gens du village collectaient chaque vendredi de l’aumône auprès des fidèles pour nous assurer une vie décente.

Mon mari et moi sommes restés 6 mois puis on s’est déplacé vers Aly Woury un autre village. Nous y sommes restés quatre ans. Je n’ai pas pu m’adapter. Je suis mauritanienne, je ne pouvais vivre ailleurs qu’en Mauritanie.

C’est ainsi que j’ai appris l’initiative « Moyto Kotta » autrement dit « caches-toi et rentres ». J’ai suivi le mouvement. Ma famille restée en Mauritanie me préoccupait. J’avais peur que quelque chose arriva à ma famille.

En plus, j’avais des enfants au bas âge, je voulais les éduquer en Mauritanie. Je disais surtout à mon mari que si je restais ici en vivant des aumônes, je préfère rentrer.

Alors à notre retour, nous ne fûmes point accueillis par les autorités mauritaniennes. Mais nous, nous étions fiers de rentrer chez nous. Des décennies après, l’Etat n’a pas trouvé une solution aux de Moyto Kotaa.

Nous revendiquons nos droits à savoir le règlement définitif de notre dossier. Qu’on nous rende nos biens qui ont été pillés et qu’on nous dédommage. Personnellement, ma fille aînée n’a toujours pas ses papiers mauritaniens. Mon mari ne s’est jamais rétabli des tortures atroces qu’il a subies, il en est devenu handicapé.

La torture était telle qu’elle a laissé des stigmates sur mon mari. Handicapé, il vit aujourd’hui séparé de ses deux enfants. Malade, désœuvré et abandonné, il a choisi de rester dans un village sénégalais. Moi, je tiens à ma « mauritanité » à mes mes aïeux. Entre son mari et mon pays, j'ai choisi le second.


Source:http://www.fr.alakhbar.info

Dimanche 29 Novembre 2015
Boolumbal Boolumbal
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