CRIDEM et «Monsieur Claude K.»



CRIDEM et «Monsieur Claude K.»
Carrefour de la République Islamique DE Mauritanie (CRIDEM), Claude K. Deux noms indissociables et connus des internautes, nationaux ou étrangers à notre pays. Deux noms qui déchaînent les passions et suscitent la polémique.
Deux noms autour desquels se retrouvent et détracteurs et admirateurs. Jamais un site d’informations en ligne n’aura fait autant parler de lui. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, CRIDEM est aujourd’hui, avec une moyenne de 13.000 connexions par jour, environ, un des plus visités sites – si ce n’est «le» site – francophones sur la Mauritanie, dès lors que le lecteur est à la recherche de nouvelles fraîches, de scoops, de revue de presse nationale et, dans une moindre mesure, internationale.
Derrière ce «buzz» informatique, un homme secret, le mystérieux Claude K. L’homme me reçoit, par une chaude matinée, dans sa demeure qui fait aussi office de bureaux du site. Il est affable, un peu réservé, tout empreint de nonchalance. Il me fait faire le tour du propriétaire, pas peu fier de me montrer «ses» bureaux, même s’il accompagne la visite de «par manque de moyens, il nous faut attendre, avant de meubler davantage telle ou telle pièce». Le ton est donné: on sent Claude K. partagé entre fierté et lassitude.
Le personnage et l’œuvre m’intrigue. Comme beaucoup d’entre nous, un de mes premiers réflexes, quand j’ouvre mon ordinateur, est de cliquer sur son site, «histoire de…». En 2004, en pleine fin de règne de Taya, dans l’atmosphère délétère et anxiogène qui précède les grands chamboulements, apparaissait, sur la toile, un nouveau site: CRIDEM, alors appelé « Convergence pour l’Instauration de la Démocratie en Mauritanie». Avec, en filigrane, Claude K. L’homme s’appelle, en réalité, Claude Nourredine Kheloua, de père algérien et de mère allemande. Son premier contact, avec la Mauritanie, se noue entre 1966 et 1967, quand, élève à l’Ecole Militaire, il rencontre deux hommes qui joueront un grand rôle dans sa vie future: Moustapha Diop et Ely Ould Mohamed Vall, jeunes officiers en formation en France. De forts liens d’amitié se nouent entre les trois hommes. La Mauritanie entre, en catimini, dans la vie du jeune Claude. Ce dernier quitte l’armée en 1970 – «tu sais», me confie-t-il, «la vie militaire et moi….» – et les amis se perdent de vue. Claude K. va, alors, fonder sa propre entreprise. Un site de combat
En 2003, il reçoit un mail de Moustapha Diop, par le biais de son entreprise Kheloua Marketing. C’est «la» rencontre. Tout s’enchaîne. Moustapha Diop lui parle, longuement, de son pays, du régime dictatorial instauré par Taya, des espoirs de changement de gouvernance. Et l’idée d’un site se fait jour. Son credo: dénoncer un régime dictatorial et les atteintes aux droits de l’Homme.
«C’était un site de combat pour combattre un régime», martèle Claude K. C’est à Moustapha Diop qu’on doit l’appellation d’origine: Convergence pour l’Instauration de la Démocratie en Mauritanie. Février 2004: CRIDEM est lancé. Au début, il n’y a, pratiquement, que de la «libre expression». C’est la ruée et le succès immédiat. Le besoin de paroles, de témoignages, le rejet de 20 ans de régime sanglant font que les Mauritaniens, en particulier ceux de la diaspora en exil, suite aux atrocités de 1989 et aux déportations massives, s’emparent de ce nouveau site. D’autres existent déjà mais CRIDEM fait son chemin, petit à petit. Claude K. ne connaît, toujours pas physiquement, la Mauritanie. Qu’importe: boosté par Moustapha Diop, porté par le succès de CRIDEM, il va étoffer son «bébé».
Survient le coup d’Etat de 2005. Son ancien ami, Ely Ould Mohamed Vall, arrive au pouvoir. Claude K. envisage d’arrêter son travail. Mais Moustapha Diop le persuade de continuer, au moins le temps de la transition. CRIDEM devient, alors, un site de revue de presse, avec, toujours, des espaces de libre expression.
A la question de savoir si CRIDEM a aidé, d’une façon ou d’une autre, à la chute de Taya, Claude K est catégorique: «oui, on a apporté une contribution au coup d’Etat ». Evoquant la période, l’homme s’anime. De grands mouvements de mains ponctuent ses phrases. Il ne tient pas en place. Tout en parlant, il se lève, va se faire un café, allume un cigarette, revient s’asseoir devant son ordi, à son bureau qui croule sous les papiers, interpelle son collaborateur, Ahmed Baba, assis à un autre bureau en face du sien. Puis il se «pose», un temps, rallume une autre cigarette et continue à évoquer le parcours de ce qu’il appelle son «bébé».
Il se souvient de son premier séjour en Mauritanie, en Avril 2007; se remémore le choc, «la culpabilité», dit-il, ressentie, quand il découvre l’immense décalage entre les infos perçues, là-bas, en France et les réalités du terrain. Et la prise de décision qui va changer sa vie: l’installation à Nouakchott. C’est le début du parcours du combattant: pour que CRIDEM vive, il faut des moyens financiers. Jusque là, tout sort de la poche de Claude K. Beaucoup de gens font des promesses d’aide. «Je ne connaissais pas encore les Mauritaniens comme je les connais aujourd’hui et je trouvais toutes ces promesses et ces volontés affichées très encourageantes» .
Janvier 2008, c’est l’installation, définitive, espère-t-il, en Mauritanie, avec embauche de personnel: deux modérateurs, une free lance, un gardien. Mars 2008, le site change de nom, mais pas d’acronyme. Il devient le «Carrefour de la République Islamique DE Mauritanie » car, selon Claude K., dans «Convergence», il y avait le sens de ralliement et c’était dépassé, après 2005. Carrefour signifie plus ouverture». Premières rentrées d’argent: les recettes publicitaires.
Puis tout s’enchaîne. CRIDEM à Nouakchott, Claude K.vend sa maison en France. «C’est moi qui paie les collaborateurs, je n’ai pas d’autres moyens financiers. C’est ça ou la clé sous la porte. […] Les promesses ne sont restées que des promesses ». A une question supplémentaire sur ses financements supposés, Claude K. s’énerve. «On a tout dit de moi: que je suis millionnaire; que je suis le François Soudan de la Mauritanie; que je roule sur l’or et pour tel ou tel. C’est faux!»
Accusé de peshmerga
J’insiste car j’ai en tête toutes les rumeurs, toutes les accusations de peshmerga. La cigarette devient batailleuse, les mains reprennent leur ballet énervé. Ahmed Baba est pris à témoin: «Ahmed, toi qui travailles avec moi, dis la réalité! D’où vient l’argent?» Ahmed Baba confirme les dires du «patron»: c‘est l’argent personnel de «Monsieur Claude» qui paie les factures, rien d’autre. Je voudrais en savoir plus mais je n’aurais pas plus de réponses.
Pour aggraver son énervement, Claude K qui, durant toute la rencontre, a surfé sur son site et sur son tableau de bord, s’emporte après son modérateur qui n’a pas mis de photos accompagnant tel ou tel article. Et la frustration ressurgit: mauvaises conditions de travail, manque de sérieux. Ajouté à cela les récriminations sur les très mauvaises connexions Internet – «ce qui, en France, me prenait trois minutes m’en prend quarante ici! Que veux-tu faire avec ça?» – et quelques invectives à l’encontre des opérateurs télécoms.
Re-cigarette. Pour détendre l’atmosphère, je demande, moi aussi, un café. L’ordi «chante»: un internaute vient de déposer un message, soit sur Facebook soit sur MSN. On rit. Derrière les lunettes, les yeux de Claude K. sont fatigués, témoins des «journées de travail infernales: couché pas avant 2 heures du matin et au boulot, dès 8 heures».
«Tu sais», me dit-il, «je suis critiqué par telle communauté qui me reproche de ne parler que d’une autre et vice-versa. Ca veut bien dire que je dérange non? Je dérange beaucoup de gens pour qui la Mauritanie n’est qu’un fonds de commerce; je dérange une partie de la diaspora. Je dérange ceux qui ont le statut de réfugiés. Je dérange les arabisants. Je dérange certains francisants. Je dérange des politiques. Je dérange des commerçants… C’est ce qui me fait dire que je fais du bon boulot».
Le personnage revient sur ses difficultés financières: «cela fait six mois que je ne me suis pas versé de salaire et, l’an dernier, j’ai dû percevoir environ 6000 euros de salaire annuel». En soupirant, il énumère les annonceurs publicitaires qui se font un peu plus frileux, chaque jour, la place de plus en plus réduite de la pub sur son site. Il évoque des pressions politiques, sans vouloir en dire plus. J’insiste. Claude K. se réfugie dans le silence et fait un signe de la main comme pour vouloir passer à autre chose. Je lui demande si l’opposition fait pression sur lui. Il fait non de la tête. Le silence devient un peu plus lourd. Il n’en dira pas plus.
Je lui demande ce qu’il en est des plaintes qui ont été déposées à son encontre. Il rappelle l’affaire de la «vraie fausse lettre de la BNM», lettre qu’il a publiée, sur CRIDEM, il y a quelques mois, et dans laquelle Noueïgued aurait fait part, au Mali, de son intention de racheter une banque malienne. La BNM avait alors protesté et fait paraître une lettre, identique à la précédente, mais où le paragraphe concernant la demande de rachat avait disparu. «A la date d’aujourd’hui je ne sais toujours pas si cette lettre était un faux. L’affaire n’est pas encore passée. J’attends.»
Au sujet de son différend avec Bertrand Fessard de Foucault et de la mise en ligne d’un faux, il hausse les épaules «Bertrand Fessard de Foucault n’a pas porté plainte. Nous avons retiré la lettre concernée».
Il me ramène, habilement, sur la situation financière de son site. Plusieurs projets sont en cours: un site en arabe; un site sur la culture en Mauritanie. «Mais, pour ça, il faut des moyens et notre situation financière est catastrophique. J’ai bien reçu une proposition de rachat de CRIDEM, d’un montant de 100 millions d’UM, mais CRIDEM racheté, ça ne sera plus CRIDEM.»
De nouveau l’agitation des mains et la cigarette qui vacille au gré des mouvements. «Je ne peux accepter l’idée de fermer CRIDEM pour manque de moyens. Je n’aime pas les échecs. J’ai mis tous mes biens en jeu; j’ai donné tout ce que j’avais. Mais, aujourd’hui, si rien n’est fait, on met la clé sous la porte; dans un mois, tout au plus.» Ahmed Baba opine de la tête. Le café, dans les tasses, est froid.
En me raccompagnant, Claude K rajoute: «On est le seul organe de presse, en Mauritanie, qui ne se fait pas payer». Je tique un peu car cela voudrait dire que toute la presse mauritanienne est achetée… Je connais, pourtant, des exemples contraires… Je lui demande son programme après mon départ: «travailler puis, à 15 heures, rendez-vous pour une subvention espagnole».
La porte se referme. Je viens de rencontrer Claude K. et il est à l’image de nos contradictions: entre volonté et limites, jeu politique, poker-menteur et passion. Et, si plein de questions sont restées sans vraies réponses, je me dis que «tant pis»: sans CRIDEM, le paysage de l’information serait bien réduit, entre sites communautaires, sites partisans, sites politiques et un ou deux sites généralistes qui ont vu le jour et qui survivent, sans argent du tout.

Mariem
Mint DERWICH- le Calame
mariemrim@aol. com

Mercredi 7 Juillet 2010
Boolumbal Boolumbal
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